« On passe d’un “tu peux” à un “tu dois” »
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Comment expliquer le sentiment de fatigue qui domine aujourd’hui notre société ?
C’est un thème qui monte, associé à la critique du capitalisme libéral. À partir des années 1970, on a vu s’imposer la question de la dépression, sans qu’elle soit thématisée à l’époque comme un symptôme de la civilisation industrielle capitaliste. À la dépression ont succédé le burn-out, l’effondrement – individuel et collectif –, la solastalgie (la souffrance provoquée par les changements environnementaux)… Soit une sorte de constellation de pathologies mentales que, petit à petit, on ne relie plus à la psyché de chacun, à des problèmes individuels ou à des traumas familiaux, mais à des questions politiques.
Lorsque le capitalisme industriel apparaît, au XIXe siècle, ce que l’on commence à critiquer, c’est l’épuisement de la force de travail, et donc des corps. Cette critique va aboutir à la création de l’assurance maladie, pour essayer de préserver le corps des individus broyé par le travail. On a mis beaucoup plus de temps à comprendre qu’un système de production industrialisé, rationalisé, pouvait aussi produire des pathologies mentales, des formes d’effondrement, de fatigue, d’épuisement de soi. Avec le tournant libéral du capitalisme, dans les années 1970, la production de services supplante celle des biens matériels, et avec elle se développent des formes de management qui impliquent chez l’individu un don de soi complet. Horaires et façons de travailler sont bouleversés, jusqu’au télétravail aujourd’hui. Cela aboutit alors à une colonisation non seulement des corps, ce que subissent encore de nombreux travailleurs – songez aux livreurs Deliveroo –, mais aussi des esprits, dans toutes les dimensions de la vie – y compris privée ou sexuelle.
Pourtant, avec l’essor du télétravail notamment, on aurait pu penser qu’il y aurait une forme de libération née de la crise sanitaire ?
Plusieurs penseurs, comme Julia de Funès, sont en effet allés en ce sens, jugeant que le télétravail permettait au travailleur de gagner en autonomie. Mais il ne faut pas confondre autonomisation et émancipation. Il y a là l’exemple typique d’une promesse de libération qui permet peut-être, en partie, une certaine émancipation, mais qui se retourne très vite en des formes d’aliénation : ce qu’on peut appeler des « libérations e
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