Quel budget consacre aujourd’hui l’État à la lutte contre le viol et les violences sexuelles ?

Dans notre rapport Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? publié en septembre 2023, nous avons montré que la lutte contre les violences sexuelles dispose d’un budget infime au sein de celui alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes en général, qui lui-même ne représente que 0,04 % du budget global de l’État (soit 184,4 millions sur 455,2 milliards d’euros). En 2023, l’État a dépensé 12,7 millions d’euros pour combattre spécifiquement les violences sexuelles. D’après nos calculs, l’État dépense 20 centimes d’euros seulement par femme victime de viol, tentative de viol ou d’agression sexuelle chaque année dans le cadre du programme de ligne d’écoute des victimes. Le Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui s’occupe de ce numéro vert gratuit, n’a eu quasiment aucune hausse de budget de fonctionnement depuis #MeToo alors que le nombre d’appels a explosé.

Pourquoi ces financements restent-ils indigents ?

Certainement parce que ces violences dérangent. Elles restent taboues et sont difficiles à aborder. Ce sur quoi l’on a le plus de mal à mettre un mot, c’est le viol. De ce fait, ce n’est pas très « vendeur » politiquement, particulièrement quand le pouvoir reste en général détenu par des hommes.

Quel serait le budget adéquat ?

À la Fondation des femmes, nous estimons que le budget pour répondre aux besoins des victimes de violences sexuelles devrait se situer entre 344 millions et 2,3 milliards (contre 12,7 millions en 2023), et c’est sans compter les violences conjugales. Ce budget permettrait d’accompagner les femmes qui dénoncent des violences, de financer des centres d’aide d’urgence, des cellules de signalement des cas de harcèlement sexuel et la prise en charge du psychotrauma. Pour l’accueil des femmes victimes de viol, nous évaluons les besoins à 100 millions d’euros par an. Les consultations en psychotraumatologie, par exemple, devraient pouvoir être remboursées.

Certains pays se montrent-ils plus exemplaires ?

Oui, l’Espagne, le Canada ou même les États-Unis. Ainsi, le budget alloué à la lutte contre les violences sexuelles de l’État du New Hampshire, qui compte seulement 1,4 million d’habitants, s’élève à 13 millions de dollars, un chiffre équivalent à celui qu’y consacre la France à l’échelle nationale. J’ai eu l’occasion de me rendre dans cinq États américains où l’on trouve des « coalitions de lutte contre les violences sexuelles » réunissant des associations, la police et la justice, lesquels travaillent de concert. À New York, une unité de police est vouée aux violences sexuelles. Ces politiques publiques existent là-bas depuis les années 1990. En France, on pourrait mettre en place de nombreux dispositifs pour lutter plus efficacement contre les violences sexuelles et le viol.

Comment pourrait-on instaurer de tels dispositifs ?

Une plateforme rassemblant de nombreuses associations féministes s’est montée en réaction à l’inaction quasi totale sur ce sujet pour élaborer des propositions dans le cadre d’une loi intégrale contre les violences sexuelles, en référence à ce qui a été fait en Espagne [pays qui dispose de plusieurs lois ayant permis une baisse effective des violences faites aux femmes]. Notre constat est que depuis #MeToo, le nombre de plaintes pour viol ou violences sexuelles a été multiplié par deux [de 40 000 en 2017 à 83 500 en 2023]. Or, on observe un très grand nombre de classements sans suite. Le système judiciaire est submergé et sa manière de traiter le phénomène #MeToo, c’est de jeter les plaintes à la poubelle.

Que contiendrait cette loi intégrale ?

Il y a des améliorations à apporter au niveau budgétaire et dans le code de procédure pénale, entre autres. Par exemple, il faudrait que l’ordonnance de protection soit étendue aux victimes de viol (et non seulement de violences conjugales). Ou qu’il soit interdit lors d’un procès pour viol de faire référence à la vie sexuelle passée de la victime. Il faut aussi agir sur l’éducation à la vie affective et sexuelle, sur la régulation de la pornographie, sur l’éducation des enfants. L’ensemble de nos propositions seront présentées au cours du mois d’octobre.

Êtes-vous inquiète du tour de vis budgétaire annoncé par le gouvernement ?

Oui. Le budget consacré à la lutte contre les violences est déjà si mince. Pourtant, il a déjà été victime de coupes récentes : lorsqu’un décret a supprimé 10 milliards d’euros dans les dépenses publiques au printemps dernier, la ligne budgétaire du ministère des Droits des femmes a été réduite de plus de 13 % ! Les moyens budgétaires traduisent une volonté politique. Bien sûr, même si l’on y affecte demain 2 milliards d’euros, le problème ne sera pas réglé magiquement du jour au lendemain. La question est néanmoins : « La société a-t-elle collectivement envie d’investir dans la lutte contre les violences sexuelles ? » 

 

Propos recueillis par Claire Alet

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