Dans le sillage du procès des viols de Mazan, le hashtag #NotAllMen a circulé à grande vitesse sur les réseaux sociaux et dans le débat public. « Not all men » (« pas tous les hommes ») est une réaction aux commentaires sur le profil des accusés de viol de Gisèle Pélicot, cinquante et un hommes de 26 à 74 ans, de professions et statuts conjugaux divers, souvent qualifiés dans les médias de « monsieur Tout-le-monde ». Mais c’est aussi une façon de contester les voix qui affirment que ce procès est in fine celui de la masculinité. « Pas tous les hommes » signifieraient que « tous les hommes ne sont pas des violeurs en puissance » et qu’il ne faut donc pas généraliser. Fermez le ban.

Dès 2014 dans Time Magazine, la journaliste américaine Jess Zimmerman avait tenté de retracer l’histoire de la formule « Not all men ». Au début de cette année-là, une planche de bande dessinée signée par Matt Lubchansky avait moqué le recours à cet argument et rencontré un grand succès. Mais la journaliste reconnaissait que l’origine précise de cette expression restait mystérieuse. Pour reprendre ses termes, « Not all men » fait partie des bingo cards des antiféministes, une phrase qui vient détourner – pour ne pas dire clôturer – une discussion sur la misogynie, le sexisme ou les violences sexuelles.

« Pas tous les hommes, mais tous des hommes. »

D’un point de vue statistique, il est évident que tous les hommes ne sont pas auteurs de violences sexuelles ni de viols. En revanche, les données du ministère de l’Intérieur montrent que 98 % des mises en cause pour viol hors cadre familial en France en 2023 sont des hommes (99 % pour les viols conjugaux). Quant aux victimes, elles sont à 85 % des femmes dans les cas de violences hors du cadre familial et 98 % dans les cas de viols ou de tentatives de viol conjugaux. On peut donc affirmer : « Pas tous les hommes, mais tous des hommes. » Ce constat factuel massif devrait empêcher de détourner le regard avec une « bingo card ». Il force au contraire à reconnaître que les violences sexistes et sexuelles, dont le viol, sont des violences systémiques. C’est-à-dire des violences qui s’inscrivent dans la structure de nos sociétés imprégnées d’une culture qui permet ces passages à l’acte. Cette structure, c’est la domination masculine, un rapport social de genre hiérarchisé qui infériorise le féminin et attribue le pouvoir au masculin. L’ensemble des violences subies par les femmes du fait de leur genre – féminicide, viols, agressions sexuelles, violences sexistes, inégalités professionnelles, dénigrement, invisibilisation – sont des répercussions de ce mécanisme de domination. Ce continuum des violences, théorisé par la sociologue britannique Elizabeth Kelly dans les années 1980, montre que les violences ne se produisent pas de manière isolée. Affirmer « Not all men » revient à individualiser l’enjeu des violences et à refuser de voir cette dimension systémique, à la fois massive et continue. Par conséquent, si le procès de Mazan n’est pas le procès « des hommes », il est bien celui de la domination masculine.

Lorsque les féministes critiquent l’usage de « Not all men », il ne s’agit pas de condamner les hommes, mais de les renvoyer à leurs responsabilités. Celle de prendre conscience de ce système de domination masculine qui est au cœur des violences de genre et du viol. Celle de se sentir concernés et d’interroger leur place dans la société configurée par la domination masculine. Accepter de regarder cet état de fait, s’indigner de cette injustice et avoir l’humilité d’être des alliés prêts à renoncer à leurs privilèges… Tous les hommes le feront-ils ? 

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