On parle beaucoup moins des violences sexuelles subies par les personnes LGBT que de celles subies par les femmes hétérosexuelles. Comment l’expliquez-vous ?

La plupart du temps, quand on évoque les violences sexuelles, on pense intuitivement à celles qui sont commises sur les femmes par des hommes, ce qui a tendance à invisibiliser celles qui sont commises sur les hommes en général, et en particulier sur les hommes adultes, ce qui explique qu’il y ait encore peu de recherches portant sur le sujet. Cela tient sans doute à l’histoire de la lutte contre les violences sexuelles, qui a principalement été menée par les féministes et qui s’est d’abord concentrée sur les victimes femmes et enfants.

Ensuite, dans l’ensemble, les problèmes qui affectent les personnes LGBT sont beaucoup moins écoutés et pris en considération dans nos sociétés. Sans compter que certaines d’entre elles peuvent être réticentes à parler de ces sujets, par crainte d’accroître leur stigmatisation en exposant des violences entre personnes LGBT, notamment au sein des couples. La difficile libération de la parole parmi les hommes gays et bi peut également avoir pour raison le poids particulier qui pèse sur les épaules des hommes en général, à savoir celui des normes virilistes et d’une forme de masculinité hégémonique qui interdisent implicitement aux hommes de se présenter comme des victimes. Cela entraîne une sous-déclaration très nette des violences sexuelles, tant au niveau des plaintes que dans les enquêtes. D’ailleurs ces violences sont un tel impensé que dans de nombreux cas, les victimes elles-mêmes ne s’identifient pas comme telles.

Ces violences sexuelles s’inscrivent-elles dans la continuité de la culture du viol patriarcale ou d’autres logiques de domination sont-elles à l’œuvre ?

La grande majorité de ceux qui agressent les hommes sont des hommes. Cette constante, quels que soient l’orientation sexuelle ou le genre des victimes, semble indiquer qu’il s’agit bien d’une même domination masculine qui s’exerce. D’autant que les hommes gays et bi sont souvent assimilés au genre féminin par leurs agresseurs : on assiste alors à une reproduction des normes véhiculées par la culture du viol.

Néanmoins, d’autres facteurs entrent aussi en jeu : nous avons remarqué lors de notre enquête que les hommes gays et bi qui avaient subi des violences sexuelles avaient tendance à être plus jeunes et à avoir un niveau d’instruction plus faible et une position socioprofessionnelle moins élevée que ceux qui déclarent ne pas en avoir subi. Il est donc tout à fait possible que ces violences sexuelles s’appuient aussi sur des rapports de domination fondés sur l’âge, sur la classe sociale, mais également sur la racisation. Une approche intersectionnelle est donc sans doute plus à même de cerner les spécificités de ces violences.

Justement, qu’est-ce qui caractérise les violences sexuelles subies par les hommes gays et bi, sur lesquelles vous avez enquêté ?

D’abord, et sans grande surprise, il faut noter qu’elles sont beaucoup plus fréquentes que chez les hommes hétérosexuels –, et ce tout au long de la vie. Au cours de notre enquête, nous avons recueilli beaucoup de témoignages de violences sexuelles vécues au sein de la famille, pendant l’enfance ou à l’adolescence. Une étude de 2020 menée par mes collègues de l’Institut national d’études démographiques (Ined) Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz montre ainsi que les hommes gays ou bisexuels sont près de huit fois plus victimes de violences sexuelles intrafamiliales que les hommes hétérosexuels (5,4 % contre 0,7 %).

En revanche, nous avions beaucoup moins connaissance du report de ces violences à l’âge adulte : nous avons donc observé de nouvelles expositions aux violences à l’âge adulte pour une partie des hommes gays et bi, certains en ayant déjà vécu dans l’enfance. Dans certains cas, leur orientation sexuelle représente un facteur de vulnérabilité sociale, puisque les départs du domicile parental peuvent se faire de manière précoce en raison de conflits avec leur famille, a priori au sujet de leur sexualité.

Nous avons également noté que la plupart des violences sexuelles subies par des hommes gays ou bi à l’âge adulte sont commises au sein du couple et dans les espaces publics. Dans les espaces publics, il semble qu’il y ait d’un côté des violences que l’on pourrait qualifier d’homophobes et qui ont lieu dans la rue. Dans cette catégorie, on trouve notamment les traquenards : les agresseurs utilisent les applications de rencontre pour donner rendez-vous à leurs victimes en feignant de chercher une relation sexuelle consentie. Ils leur font ensuite subir des violences sexuelles, physiques et psychologiques. Des participants à notre enquête nous ont également fait part de rapports sexuels forcés dans les lieux de sociabilité sexuelle, comme les saunas ou les backrooms. D’après notre hypothèse, ces agressions seraient liées au fait que ces endroits ne placent pas le consentement sur le devant de la scène.

Qu’en est-il des violences sexuelles envers les lesbiennes ?

La chercheuse de l’Ined Tania Lejbowicz a montré dans une étude qu’il existe beaucoup moins de violences sexuelles au sein de couples lesbiens qu’au sein de couples hétérosexuels. Néanmoins, en dehors du couple, les femmes lesbiennes et bisexuelles sont bien plus confrontées aux violences sexuelles que les hétérosexuelles, notamment parce qu’elles sont victimes à la fois de sexisme et de lesbophobie. 

Propos recueillis par MANON DE LA SELLE

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