Ils ne jettent pas de soupe sur des Van Gogh, ne s’asseyent pas sur l’autoroute pour alerter sur la crise écologique, mais ils bloquent des ponts et se perchent sur des toits pour dénoncer l’immigration et l’islamisation de la France. Les causes sont incomparables, pas les modes d’action. Avec Génération identitaire, l’extrême droite conteste aux mouvements progressistes, féministes ou écologistes, l’apanage de la désobéissance civile.

Historiquement, ce répertoire d’actions n’est pas celui de l’extrême droite française. Au contraire, comme le notait le chercheur Jean-Yves Camus dans La Désobéissance civile (Presses universitaires du Septentrion, 2017), en dehors d’épisodes « marginaux », l’extrême droite luttait contre le système tout en y appartenant : « Son rapport naturel de soumission à l’autorité, trop souvent confondue avec l’Ordre, fait que l’insoumission reste, dans cette famille politique, avant tout une figure rhétorique ou une posture. » Valorisant le conformisme, l’obéissance et la hiérarchie, ses militants se tenaient loin d’une réelle désobéissance.

Ils se présentent comme « le Greenpeace de la droite nationale »

Le mouvement identitaire s’est extrait de ce schéma avec des actions flirtant ou même dépassant les limites de la loi, qui ont forgé sa spécificité. C’était vrai dès la fondation du Bloc identitaire en 2002, c’est particulièrement le cas de Génération identitaire dont l’acte de naissance, en octobre 2012, a donné le ton : une cinquantaine de militants occupent pendant plusieurs heures le toit de la mosquée de Poitiers, alors en travaux. En 2013, ils investissent à Paris le toit-terrasse du Parti socialiste, puis ils bloquent en 2014 l’entrée du siège de l’UMP. En 2015, ils occupent les toits des gares de Cannes et d’Arras et des centres d’accueil pour migrants à Triel-sur-Seine, dans les Yvelines, et à Arry, dans la Somme. En 2016, ils bloquent les ponts d’accès à la ville de Calais. Ils organisent des « patrouilles » aux frontières, en Méditerranée en 2017 puis dans les Alpes en 2018. La même année, ils investissent le siège marseillais de l’association SOS Méditerranée, puis, en 2019, le toit de la caisse d’allocations familiales de Bobigny.

Génération identitaire n’intégrera jamais à son vocabulaire l’expression « désobéissance civile », mais ces actions en partagent les fondamentaux. Les militants eux-mêmes déclarent s’inspirer des écologistes, n’hésitant pas à présenter leur mouvement comme « le Greenpeace de la droite nationale* ».

Pourquoi ce basculement ? D’abord, parce que les identitaires se conçoivent comme « la première ligne plutôt que le dernier carré », c’est-à-dire une minorité agissante. Ensuite, parce qu’en se prévalant de la défense d’une civilisation contre les dangers que représentent selon eux l’immigration et l’islamisation, ils invoquent une raison supérieure justifiant de passer dans l’illégalité. Ce combat, présenté comme vital et urgent, légitime la désobéissance : « Quand un peuple a disparu, c’est terminé, tu peux plus le refabriquer », explique un militant.

Le mouvement se conçoit comme « la première ligne plutôt que le dernier carré »

Ces actions, « vraiment symboliques », « provocatrices dans le bon sens du terme », selon les mots d’un militant, permettent au mouvement de « forcer la main des médias ». Elles l’aident aussi à se normaliser en se mettant à égalité avec des mouvements progressistes. D’où une prétention à la non-violence : les identitaires jugent la violence stérile, et estiment surtout qu’elle ferait courir au mouvement le risque de la dissolution – qui n’a malgré tout pas manqué d’advenir le 3 mars 2021. Malgré des effectifs modestes (quelques milliers d’adhérents en France, quelques centaines de militants actifs), ils élargissent ainsi la diffusion de leurs demandes et idées (référendum sur l’immigration, « racisme antiblanc », « remigration »). Des actions illégales, symboliques et visuelles destinées à attirer l’attention médiatique : avec Génération identitaire, la désobéissance a bel et bien traversé l’espace politique, des franges écologistes aux marges de l’extrême droite. 

 

* Toutes les citations de militants sont issues d’entretiens avec l’auteur.

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