C’était le 11 septembre 1973. « L’autre 11 Septembre », disent ceux qui ont la mémoire des dates et des drames. Ce jour-là, le général Augusto Pinochet mit fin dans la violence à l’expérience de l’Unité populaire, menée depuis 1970 par une coalition de gauche et de centre gauche qu’incarnait Salvador Allende, lequel se suicida dans le palais présidentiel de la Moneda, après un discours aux accents funèbres. La dictature s’installa pour longtemps. Avec son lot de tortures, de disparitions, de privations des libertés les plus élémentaires.

L’espoir vaincu, la résistance à la violence, l’utopie romantique d’autres grands soirs, c’était tout ça, le Chili.

Pour la gauche française, le Chili fut longtemps la borne témoin de ce que pouvait être son combat, fait de réduction des inégalités, d’une baisse générale des prix pour les plus pauvres, sans oublier le programme de nationalisations qui fâcha tant les multinationales américaines. Jusqu’à engager en sous-main les États-Unis dans la chute du régime Allende. À cette époque, le Chili était partout en France. Pinochet en grand habit militaire, bras croisés en signe de défi, regard dissimulé derrière d’épaisses lunettes fumées, incarnait le mal absolu. On écoutait les Quilapayùn, exilés dans notre pays, qui chantaient leur fameux hymne révolutionnaire El pueblo unido jamás será vincido (« Le peuple uni jamais ne sera vaincu »). Francesca Solleville martelait Camarade Chili. On pleurait le chanteur Víctor Jara, torturé et tué par les militaires (et dont les assassins viennent seulement d’être reconnus coupables…). Les dirigeants du Parti socialiste accueillaient les militants du MIR (le mouvement de l’extrême gauche révolutionnaire chilienne) à bras ouverts. L’espoir vaincu, la résistance à la violence, l’utopie romantique d’autres grands soirs, c’était tout ça, le Chili.

Un demi-siècle plus tard, les démons de la dictature sont toujours là. 

Dès 1975, les « Chicago Boys » de Milton Friedman mirent le pays sous la coupe réglée du néolibéralisme. Derrière la croissance économique saluée par le FMI et les apparences de stabilité, le Chili devint, écrit le chercheur Damien Larrouqué, « un des pays les plus inégalitaires du monde ». Un demi-siècle plus tard, les démons de la dictature sont toujours là. La révolte sociale d’octobre 2019 a vu une jeunesse à bout réprimée dans une grande violence. Et le processus qui devait amener à réécrire la Constitution héritée des années sombres du pinochétisme (1973-1990) sera finalement mené par l’extrême droite, le projet de la gauche ayant sévèrement échoué avec le « non » (à 62 %) au référendum de septembre 2022. Le malheur du Chili, nous dit le réalisateur Patricio Guzmán, c’est d’avoir perdu sa culture politique sans avoir accompli son travail de mémoire. Au risque de revivre sans cesse les répliques du pire. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !