C’est une anecdote rapportée par son amie et première biographe, Simone Pétrement. Alors qu’à l’âge de 3 ans Simone Weil se remet mal d’une violente crise d’appendicite – et on sait combien toute sa vie fut placée sous le signe d’une santé précaire –, ses parents lui content l’histoire de Marie Goudron, inspirée de Grimm : maltraitée par sa marâtre, une pauvre fillette s’enfuit dans la forêt et parvient à une maison percée de deux portes, l’une couverte d’or, l’autre de goudron. Laquelle emprunter ? « Pour moi, le goudron est bien assez bon », décide Marie, et à l’instant une pluie d’or la recouvre. Un simple récit pour enfant, peut-être, mais Simone Weil confiera qu’il exerça une influence sur toute son existence.

Celle-ci débute en 1909, à Paris. Simone et son frère André, de trois ans son aîné, grandissent dans une famille de la bourgeoisie juive lettrée et agnostique. Musicienne et polyglotte, la mère, Selma, née Reinherz, a épousé le Dr Bernard Weil. Ces parents aimants et protecteurs cultivent tôt en eux le sens de la curiosité et de l’indépendance, mais aussi celui de la discipline, de l’effort et du sacrifice. À 5 ans, Simone, émue par le sort des soldats au front, se prive de sucre pour tout leur envoyer. Sans qu’elle sache pourquoi, elle penche déjà spontanément du côté des opprimés : « À 10 ans, s’amusera-t-elle, j’étais bolcheviste. »

Chez les Weil, on professe une unique religion, celle de la haute culture et de l’excellence. À 12 ans, André s’initie seul au sanskrit et enseigne à sa sœur le grec ancien pour leurs échanges secrets. Simone pousse dans le sillage de ce frère admiré et imité. On en plaisante à la maison : celle qu’on surnomme Simon signe parfois ses lettres d’un « votre fils ». Fuyant les apprêts féminins, elle adopte peu à peu l’accoutrement informe qui, paradoxalement, la fera partout remarquer. Mais André montre des dispositions hors du commun : future étoile des mathématiques françaises, il saute trois classes et intègre à 16 ans l’École normale supérieure. Simone se désespère. Elle a 14 ans et traverse une terrible crise : « J’ai sérieusement pensé à mourir à cause de la médiocrité de mes facultés naturelles. […] Je n’enviais pas ses succès mais je pensais ne pouvoir espérer aucun accès à ce royaume transcendant où les hommes authentiquement grands sont seuls à entrer et où habite la Vérité. J’aimais mieux mourir que de vivre sans elle. »

 

C’était sans compter sur son opiniâtreté. En 1925, elle entre au lycée Henri-IV, où règne la figure du philosophe Alain. En lui, elle trouve un maître. Le regard vif derrière ses grosses lunettes cerclées de fer, elle s’imprègne de sa pensée humaniste qui l’ouvre à la philosophie vivante. Alain, lui, la surnomme « la Martienne » et la tient pour « très supérieure » à ceux de sa génération : « J’ai lu d’elle, dira-t-il, des commentaires de Spinoza qui dépassaient tout. » Elle n’a alors que 16 ou 17 ans.

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