Ce qui frappe d’emblée chez Simone Weil (1909-1943), c’est la fulgurance. L’accélération permanente de la pensée et de la vie. Qu’on en juge : à peine agrégée de philosophie à 22 ans, elle se rapproche des syndicats ouvriers et donne des cours du soir à la Bourse du travail, elle file en Allemagne avant qu’Hitler n’accède au pouvoir et comprend l’ampleur de la catastrophe à venir, elle se fait embaucher chez Alsthom puis chez Renault, elle s’engage dans les rangs de la colonne Durruti en Espagne avant de se retirer de cette guerre civile avec dégoût, elle subit les persécutions du régime de Vichy parce que née juive, résiste dès le premier jour et rejoint le général de Gaulle à Londres après un détour par New York. Fin de l’histoire : elle meurt à 34 ans.

Pour parler du salariat, elle partage le sort des invisibles cassés par le travail à la chaîne. 

Sinon quelques articles dans des revues confidentielles, elle n’a rien publié. Mais cette parfaite inconnue laisse derrière elle beaucoup de carnets, de notes et d’analyses. Deux parrains vont présider à sa « naissance » après-guerre. Le premier, Gustave Thibon, publie en 1947 – à partir des cahiers qu’elle lui a confiés avant de quitter la France – La Pesanteur et la Grâce. Le second, Albert Camus, fait paraître en 1949 un manuscrit inachevé commencé à Londres : L’Enracinement. Sortie de l’ombre, Simone Weil ne va plus cesser d’être imprimée, commentée, discutée aussi bien par celui qui croyait au ciel que par celui qui n’y croyait pas. Cette gloire posthume vient en partie d’une démarche particulièrement exigeante. Avant de tirer des conclusions, elle entend éprouver dans sa chair son sujet. Pour parler du salariat, elle partage le sort des invisibles cassés par le travail à la chaîne. Pour trancher sur le nazisme et le fascisme, elle se rend en Allemagne et en Espagne.

Sa pensée, en perpétuelle expansion, ne connaît pas le garde-à-vous. 

Est-ce cela la philosophie ? Cela s’appelle la recherche de la vérité. Excluant de se laisser bander les yeux, elle accepte d’évoluer, de s’autocritiquer. Plus elle avance, plus elle se dépouille des dogmes. Sa pensée, en perpétuelle expansion, ne connaît pas le garde-à-vous. Elle explore le champ politique, le social, l’économie ; elle continue de se nourrir des grands classiques de la philosophie ; elle étudie la vision et l’histoire des grands courants religieux en même temps qu’elle délaisse le judaïsme, qu’elle ne connaît pas, pour épouser la foi chrétienne qu’elle ressent avec mysticisme.

Qui est donc cette jeune femme qui brûle d’un feu sacré, qui entend mortifier son corps, qui exècre les jeux de la séduction et la séduction tout court, qui dès l’enfance s’est placée aux côtés de ceux qui souffrent ? On le découvre dans ce numéro du 1 hebdo et l’on se prend à rêver de ce qu’elle aurait pu écrire dans sa maturité.  

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