C'était au début des années 2000. J’occupais à l’époque la fonction de médiateur du Monde

Cette semaine-là, plusieurs lecteurs m’avaient fait part de la manière dont ils se procuraient le journal. Pour beaucoup d’entre eux, se rendre jusqu’au kiosque, préparer sa monnaie, se saisir du premier exemplaire de la pile participait du plaisir… Mais cela pouvait aller plus loin. Une jolie carte, postée du Lot et signée Julie B., avait un ton d’excuses : « J’ai bien reçu votre offre d’abonnement. Or, je suis éperdument amoureuse de mon buraliste, et je vais chaque jour acheter Le Monde pour le délicieux bonheur de le voir un instant. Voilà pourquoi je ne m’abonne pas. Merci de votre compréhension. »

Un psychanalyste de Marseille, Roger F., s’exprimait comme le ferait aujourd’hui un fidèle lecteur du 1 : il ne pouvait se passer du journal. « Je vous soupçonne, écrivait-il, de mettre de la drogue dans l’encre d’impression. »

Une lectrice d’un certain âge, Jane S., m’expliquait qu’elle habitait depuis des années avec son mari en haut d’une côte. Or, le quotidien n’arrivait jamais à la même heure chez la marchande de journaux. Comment faire pour ne pas descendre et remonter inutilement cette rue Victor-Hugo ? Un petit arrangement avait été trouvé : à l’arrivée du Monde, la kiosquière donnait deux coups de sonnerie au téléphone, et les S. ne décrochaient pas : c’est le signal choisi. 

« Mon mari est mort il y a quelques semaines, me précisait Mme S. En sa mémoire, et pour mon plaisir, je vais continuer le petit arrangement avec la vendeuse de journaux. » Rue Victor-Hugo, le téléphone a donc continué à sonner deux fois… 

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