C’est bien simple, si l’histoire de Presstalis devait être portée à l’écran, ses producteurs se verraient imposer de faire figurer en gros sur l’affiche la mention : « Attention : ce film comporte des séquences et des chiffres pouvant heurter la sensibilité des bons gestionnaires. » Tant qu’à être au bord de la faillite et du chaos, chez Presstalis on ne fait pas les choses à moitié. L’embarras et les zones d’ombre commencent au standard. Responsables absents ou injoignables. Bifurcation vers des boîtes vocales vous confiant le secret qu’elles sont « pleines », ou bien que le poste recherché n’est « pas attribué ». Invitation préalable à décliner identité, profession et « motif de votre appel ». Il est plus facile de joindre la NASA que les dirigeants de la société qui distribue la presse française ! Surtout quand il se trouve que cette dernière, présentée comme « sauvée » et « redressée » depuis 2013, apparaît soudain, début 2018, prisonnière de l’obscurité comptable d’une équation à 500 millions d’euros. 

Comment ce fleuron de la distribution en est-il arrivé là ? Quelles décisions l’ont fait basculer, en cinq ans, d’un équilibre apparemment retrouvé à quelque 350 millions de fonds propres négatifs ? Quels choix stratégiques sont à l’origine de la mise en péril de toute la filière presse ? Quelles dépenses ont pu être aussi lourdes que mal anticipées pour conduire à l’arbitraire de saisies provisoires sur le chiffre d’affaires de ses clients ? À la taxation obligatoire des plus fragiles d’entre eux pour les cinq prochaines années ? Et à l’urgence d’un énième « plan de sauvetage » qui se chiffrera, au bas mot, à 150 millions d’euros ? Questions qui s’imposent, mais dont l’énoncé permet de mieux comprendre le mutisme ou le peu d’empressement à répondre des acteurs concernés. Pas de tous, heureusement. Avec un peu de patience, des portes s’ouvrent, des voix s’expriment. Un édifiant récit prend forme. 

Portrait de famille en duopole

Pour saisir la dramaturgie de la chose, il importe de garder à l’esprit quelques repères et fondamentaux. Autrefois appelée NMPP (Nouvelles Messageries de la presse parisienne), Presstalis est une société privée. Son activité consiste à collecter, trier, transporter et distribuer dans toute la France quotidiens nationaux et magazines. Elle recourt, pour ce faire, à des dépôts, des camions, des cadres commerciaux et des personnels historiquement affiliés au syndicat SGLCE (anciennement Syndicat du livre CGT). Longtemps dirigée par le groupe Hachette, elle est depuis 2011 détenue par deux coopératives. Deux groupements d’éditeurs qui lui confient leurs titres. La coopérative des quotidiens (CDQ) en possède 25 %. Celle des magazines (CDM) 75 %. 

Mais Presstalis ne se contente pas d’acheminer les exemplaires. Elle se charge aussi de récupérer les invendus, de faire remonter le produit des ventes à redistribuer aux éditeurs, déduction faite du montant des diverses prestations qu’elle a fournies et qui s’élèvent, en moyenne, à 36 % du prix facial d’un titre. Son chiffre d’affaires ? Presque 2 milliards d’euros il y a dix ans, à peine 1,5 milliard en 2016. Elle gère les trois quarts de la presse française. Le dernier quart étant le pré carré d’une concurrente, les MLP (Messageries lyonnaises de presse), qui présente la singularité de ne distribuer que des magazines (aucun quotidien), de n’être pas soumise aux revendications du Syndicat du livre, et de ne pas bénéficier des aides de l’État. 

Enfin, Presstalis et les MLP ont chacune leurs dépôts, leurs zones de chalandise. Elles sont à la fois concurrentes, partenaires et constituent une sorte de duopole, parfois plus fratricide que fraternel. Les éditeurs de magazines peuvent passer et repasser de l’une à l’autre des messageries, en donnant préavis à celle qu’ils quittent. D’un côté comme de l’autre, les prix des prestations font l’objet de barèmes en principe transparents. Des tarifs homologués par le double niveau de régulation qui veille sur le secteur : un Conseil supérieur des messageries (CSMP), et une Autorité de régulation de la distribution (ARDP). 

Un « sauvetage » qui pèsera lourd

Nous sommes donc en 2012-2013. Presstalis ne va pas fort, mais récupère. C’est une convalescente qui sort à peine d’une crise majeure. Les journaux sont chers. La presse se vend de moins en moins. Internet, réseaux sociaux et smartphones en détournent les jeunes. Pour cause de déficit et de fonds propres glissant vers le rouge depuis 2009 la société s’est retrouvée en 2012 au bord du dépôt de bilan. Il a fallu élaborer un « plan de sauvetage », trancher dans le vif et amputer de moitié les effectifs. Soit 1 200 départs. 

Sans surprise, grèves, non-parutions, blocages multiples ont alors accueilli ce plan. Au point qu’il a fallu faire appel à un médiateur urgentiste pour faire chuter la tension. Comme souvent par le pass&e

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