1999 : élu dans un fauteuil.

2019 : maintenu dans un fauteuil roulant.

Entre ces deux dates, vingt ans d’un pouvoir grabataire, autoritaire, kleptocratique et clientéliste. Vingt ans d’une jeunesse qui n’a connu que vieillesse, mensonge, opacité, pour se heurter en fin de compte à un pouvoir sans parole, au visage figé d’un père de la nation mutique dont la présence n’est plus qu’une absence enfermée dans un cadre, une photo sans légende, un chromo sans un mot.

Voici, en quelques traits, brossé le portrait d’une Algérie qui avance en reculant, guidée par une tête sans corps ou un corps sans tête, dans une incroyable fiction désincarnée par son président Abdelaziz Bouteflika. Si l’homme n’est plus que l’ombre de lui-même – après avoir été accueilli en sauveur –, cette ombre n’en finit pas de s’étendre sur un pays qui aspire à respirer, enfin. Comme dans la bataille pour le climat, c’est sa jeunesse qui réclame de l’air. Le mal de l’Algérie – le « malgérie » –, c’est justement d’étouffer. De nourrir ses fantômes, de la guerre de libération contre la France (1954-1962) à la guerre civile de la décennie noire (1991-2002) où nul n’a jamais su distinguer à coup sûr qui, entre les égorgeurs islamistes et les militaires assassins, eut le plus de sang sur les mains. 

Dans cette Algérie sans bons ni méchants, alors que tout un peuple semblait damné et condamné au pire, la figure de « Boutef » était apparue comme celle du sauveur. Vingt ans après, comme dans Le Guépard de Lampedusa – « il faut que tout change pour que rien ne change » –, le pouvoir fait mine d’organiser de nouveaux lendemains. Une conférence nationale de transition pour préparer une nouvelle élection sans Bouteflika. Les 15 millions d’Algériens mobilisés dans les rues d’un printemps espéré ne peuvent être dupes. C’est du ni vu ni connu j’t’embrouille, « un hiatus terrible entre ce pouvoir et le peuple qu’il est censé représenter », nous dit l’écrivain Mohamed Kacimi dans ce numéro du 1 que nous tenions à consacrer à la situation politique en Algérie. Un numéro où les questions l’emportent sur les réponses, tant reste illisible la réalité algérienne. Pas de cinquième mandat mais un quatrième mandat bis ? Un pouvoir spectral qui ne veut pas finir et trouvera la recette de la vie après la mort ? Seul le temps le dira. Mais le temps presse pour un peuple qui a passé vingt ans sans respirer. 

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