Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire). C’est dans sa Twingo noire que Maxime de Rostolan sillonne la région tourangelle. Âgé d’une trentaine d’années, cet ingénieur de formation a créé en 2013 une ferme agroécologique à Montlouis-sur-Loire. Son cahier des charges : une petite surface (1,4 hectare), la création de trois emplois et une rentabilité dès la quatrième année. « J’ai voulu créer une ferme qui coûte moins cher qu’un tracteur, dont le montant s’élève à 120 000 euros. Or, une ferme de cette taille, bâtiment et salaires inclus, représente à l’installation 100 000 euros. »

Maxime de -Rostolan a fait ses armes à la ferme biologique expérimentale du Bec-Hellouin, en Normandie. Il décide ensuite de se lancer à son compte. Sur son exploitation, il applique les principes de la permaculture, une pratique s’inspirant du modèle des écosystèmes sauvages. L’initiative de Maxime de -Rostolan est appelée à se dupliquer : le jeune entre-preneur soutient financièrement la création d’autres initiatives dynamiques responsables à travers le concours « Fermes d’avenir ».

Le projet est suivi de près par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) : un doctorant étudie depuis sa genèse l’installation de la microferme. « On veut montrer qu’on représente un vrai modèle », précise Maxime de Rostolan. L’idée est aussi d’évaluer les bienfaits de ce type d’agriculture. « Un agriculteur n’est pas là juste pour produire de la nourriture. Il surveille la qualité de l’eau, préserve la santé des gens, lutte contre le réchauffement climatique, entretient la bio-diversité, façonne le paysage, crée de l’emploi, fait du lien… Ces données ne sont pas du tout chiffrées. On essaie de dégager un bilan. » 

Le véhicule s’engage dans le domaine de La Bourdaisière. Au milieu d’un terrain verdoyant, se dresse un château de la Renaissance. Son propriétaire, Louis Albert de Broglie, a mis à disposition de Maxime de Rostolan 1,4 hectare de terrain pour que le jeune homme implante sa ferme expérimentale. La voilà, au bout de l’allée, à l’orée d’une forêt : une maisonnette et quelques serres. 

Tour du propriétaire. Les maraîchers traversent la ferme, chargés de topinambours. À cette saison, il y a aussi des choux de Bruxelles, des poireaux. Dans les sentiers, Maxime de Rostolan nous explique le concept : « La permaculture n’est pas seulement une technique agricole, mais aussi une méthode de conception pour créer des écosystèmes équilibrés. »

C’est donc un projet de société qu’il expose en filigrane : « Cet écosystème doit s’adapter aux chocs et aux changements. Ce n’est pas le cas dans l’agriculture conventionnelle : quand un ravageur arrive, l’agriculteur est obligé d’avoir une réponse spécifique. Ici, quand les pucerons attaquent les épinards, on ne traite pas : autour, il y a tout ce qu’il faut pour les chasser. Comme les coccinelles. »

Notre hôte nous montre un tas de bois, en marge des cultures : un refuge à hérissons. Ces derniers mangent les limaces dévoreuses de salades. Un peu plus loin, quelques grenouilles ont élu domicile au bord d’une mare artificielle. Elles remplissent la même fonction. Les mares attirent des insectes pollinisateurs, ce qui aide à réguler le système. La bio-diversité, c’est l’un des maîtres mots de la permaculture. « Cent espèces sont cultivées sur notre terrain. »

La terre est recouverte de paille ou d’engrais verts. « Entre deux cultures, on couvre les sols. C’est la base. Il ne faut jamais laisser la terre à nu. C’est une hérésie », souligne Maxime de Rostolan. En traversant la Beauce en TGV, c’est pourtant ce spectacle qui s’offre à nous. « Quand il pleut, cela déstructure le sol. Et il perd tout son humus. Il suffit de voir la couleur de la Loire en ce moment. Nous avons perdu d’un tiers à la moitié de la matière organique de nos sols en cinquante ans ! Or, la matière organique c’est de la fertilité. »

Il attrape une poignée de terre sous la paille. Deux vers de terre sont lovés dans le creux de sa main. « Vous voyez ? Ce sont nos meilleurs alliés. » Quand la terre est à découvert, il n’y a plus rien à manger et la microfaune du sol disparaît. Or, elle est nécessaire pour le travail de minéralisation du carbone. Autre vertu du paillage : cela limite la pousse des mauvaises herbes. De plus, la terre reste fraîche, ce qui permet de faire des économies en irrigation. Sans compter que cela augmente la teneur en matière organique, donc la fertilité du sol.

La réponse au réchauffement climatique serait-elle dans l’agriculture ? C’est le pari lancé par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, avec le projet « 4 pour 1000 », qui s’appuie sur une étude de l’INRA. Si on augmente chaque année de quatre pour mille la teneur en matière organique dans le sol, l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète sera compensé. « Nous, on a fait quinze fois plus en un an », se félicite Maxime de Rostolan. Dans l’agriculture conventionnelle, les céréaliers commencent à prendre le pli de la couverture des sols. 

Autre principe développé par la permaculture : la culture sur buttes. Il s’agit de cultures rehaussées. Cela permet d’aérer la terre, de la charger en matière organique et d’augmenter le rendement. « Concrètement, on peut installer cinq rangées de blettes au lieu de trois. » Cela présente aussi l’avantage de travailler de façon plus ergonomique, à hauteur d’épaule. Les produits des récoltes sont vendus localement : maison de retraite, école, traiteurs, La Ruche qui dit oui… et aussi, directement à la ferme. L’objectif est d’atteindre cent paniers à 20 euros par semaine. 

Maxime de Rostolan travaille actuellement à l’installation de cinq autres fermes agro-écologiques. « C’est chaque fois du cas par cas. Il faut tenir compte des conditions du sol, de la faune et de la flore en présence… On ne peut pas raisonner de la même façon au Maroc ou dans les plaines du Nord. Et c’est pourtant la pensée dominante ! » On l’aura compris, la permaculture, c’est d’abord une méthode. Et pour aider les futurs maraîchers à se lancer dans des projets similaires, une « boîte à outils » est accessible sur le site Internet de Fermes d’avenir. Dossiers thématiques, fiches techniques, cas pratiques… Le site recense pas moins de 30 000 visiteurs mensuels. 

Si le maraîchage bio fait de nombreux émules, le modèle peut-il se reproduire sur des surfaces plus vastes ? « On peut tout à fait le transposer sur 85 hectares. Dans ce cas, il faudra faire de la polyculture associée à de l’élevage. » Mais peut-on pour autant imaginer une transition agricole à grande échelle ? Il faudrait pour cela abolir les pesticides… Les perturbateurs endocriniens présents notamment dans les pesticides et responsables de nombreuses pathologies (obésité, diabète, troubles du développement) coûtent chaque année 157 milliards d’euros à l’Union européenne. Une évaluation établie par une vingtaine de chercheurs européens et américains qu’a publiée la revue The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism. « Si demain on arrête les pesticides, on économise au moins 50 milliards d’euros. Et cet argent peut aider à financer la transition agricole. » 

Face au lobby des pesticides et à la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), les Fermes d’avenir peuvent-elles susciter une véritable mobilisation politique et citoyenne ? Ou se cantonneront-elles à des actions ponctuelles et isolées ? « L’idée est de massifier le mouvement », précise Maxime de Rostolan. Autre interrogation : le modèle économique est-il viable ? « La phase d’installation est difficile, Pour une surface comme la nôtre, on a besoin au départ de cinq paires de bras. Nous avons fait appel à des bénévoles avant d’atteindre notre rythme de croisière. » Pourquoi ne pas créer des missions de service civique autour de ce type d’initiatives durables, s’interroge le jeune homme? « Cela peut réunir la société civile autour de projets de résilience. » Cela représente également une perspective pour l’emploi. 1,4 hectare requiert trois employés en maraîchage bio contre un employé pour 1,9 hectare en agriculture conventionnelle. Reste la question du rendement. Une étude parue dans la revue scientifique Nature Plants précise que d’ici 2050, l’agriculture bio pourrait nourrir la population mondiale. L’espoir est permis. 

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