Connais donc la nature, et règle-toi sur elle.
Si ton terrain est gras, dès la saison nouvelle
Qu’on y plonge le soc, et que l’été poudreux
Mûrisse les sillons embrasés par ses feux.
Mais si ton sol ingrat n’est qu’une faible arène,
Qu’au retour du Bouvier le soc l’effleure à peine.
Ainsi l’un perd l’excès de sa fécondité ;
L’autre de quelque suc est encore humecté.
   Qu’un vallon moissonné dorme un an sans culture :
Son sein reconnaissant te paie avec usure :
Ou sème un pur froment dans le même terrain
Qui n’a produit d’abord que le frêle lupin,
Ou la vesce légère, ou ces moissons bruyantes
De pois retentissants dans leurs cosses tremblantes.
Pour l’avoine et le lin, et les pavots brûlants,
De leurs sucs nourriciers ils épuisent les champs :
La terre toutefois, malgré leurs influences,
Pourra par intervalle admettre ces semences,
Pourvu qu’un sol usé, qu’un terrain sans vigueur,
Par de riches engrais raniment leur langueur.
La terre ainsi repose en changeant de richesses ;
Mais un entier repos redouble ses largesses.

Extrait du livre I des Géorgiques, Traduction de Jacques Delille

 

Pour penser notre rapport à la nature, on peut se tourner vers l’est, et apprécier les principes d’harmonie du Tao, tout en goûtant au Japon le détachement d’un haïku de saison. Mais aussi chercher un autre équilibre dans le passé de l’Occident, relire les écrivains antiques, et se ressourcer aux quatre Géorgiques de Virgile. L’œuvre didactique suit les Bucoliques et précède l’Énéide.  Après avoir chanté les pâturages et avant de chanter les héros, le poète latin y répond à une commande de Mécène, et chante les campagnes dans un traité d’agronomie. L’époque est à la guerre mais Octave, le futur premier empereur de Rome, entrevoit la paix. Il offre des terres aux vétérans de son armée. Comme en écho, Virgile fête le retour aux moissons : « Ah ! loin des fiers combats, loin d’un luxe imposteur, / Heureux l’homme des champs s’il connaît son bonheur ». Plutôt que les productions intensives de blé de son époque, l’écrivain célèbre les cultivateurs d’antan, ceux des petites exploitations, et conseille de connaître l’usage des anciens, autant que les spécificités de chaque lieu. Sans jamais perdre de vue l’action transformatrice de l’homme, nécessaire à la récolte. Dans la traduction de Jacques Delille datant du xviiie siècle, Jupiter lui-même « voulut que l’indigence éveillât les talents ». Il endurcit la terre pour proscrire une opulence oisive. Peut-on alors espérer que, grâce au travail de l’homme, un nouvel âge d’or nous attende ? Dans un accord à enseigner entre écoute du monde, maîtrise de la nature et jouissance austère. Pour les plus jeunes et les autres, à quand un Service agricole obligatoire ? 

 

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