La macroéconomie si chère à Keynes est une science froide qui ne rend pas compte de la détresse humaine. Elle a le mérite, cependant, d’établir des diagnostics sans tomber dans le pathos de l’actualité quotidienne. Ainsi permet-elle d’offrir un tableau plus juste du monde agricole français alors que sévit dans ses rangs une jacquerie d’éleveurs. Certes, bien des statistiques permettent de dire que le verre des paysans est à moitié vide, et parfois vide. L’endettement moyen de nos exploitations agricoles en est la preuve accablante : 172 600 euros en 2012, dernier chiffre officiel. La charge est encore plus lourde pour les plus jeunes : au-delà de 200 000 euros pour les moins de 40 ans ! Dans ce tableau noir, éleveurs de volailles et de porcs, maraîchers ou horti-culteurs sont pris à la gorge avec des taux d’endettement supérieurs à 60 % de leurs actifs. Et si les agriculteurs français devaient rembourser la totalité des crédits en cours dans leur secteur, le chèque serait proche de 50 milliards d’euros !

Mais, grâce à la science de monsieur Keynes, on peut aussi affirmer que le verre est à moitié plein. Notre agriculture demeure la première en Europe et la France résiste dans la bataille pour le pouvoir vert. Certes, sa part dans notre produit intérieur brut est tombée à 1,5 % sans compter l’industrie agroalimentaire (2 % du PIB), mais ses performances restent remarquables. Alors que notre déficit commercial était de 53,8 milliards d’euros en 2014, l’excédent agricole et agroalimentaire atteignait, lui, 9,1 milliards. Aucun secteur de notre économie ne fait mieux. Naturellement, l’agriculture n’est pas un bloc uniforme et les disparités sont grandes entre, d’une part, les boissons, vins et alcools, forts d’un somptueux excédent commercial de 10,5 milliards d’euros pour le millésime 2015, le « blé » des céréales – 5,8 milliards d’excédent – et, d’autre part, la pêche, les fruits, le café, le thé, déficitaires de plus de 6 milliards, ou nos petits cochons dévorés par la mondialisation. 

La prospérité ne progresse pas d’un même pas pour tous ces paysans qui, souvent, sont aussi les paysagistes du pays. Ils en sont même l’âme car ils illustrent à travers leurs succès et leurs révoltes cette définition que donnait de la France Paul Valéry : « Cette nation nerveuse et pleine de contrastes trouve dans ses contrastes des ressources toutes imprévues. »

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