Nos producteurs de lait et de porc crient leur désespoir. Ils accusent pêle-mêle la faiblesse des prix, la concurrence du reste de l’Europe et l’incapacité de Bruxelles à les sortir de la crise. La politique agricole commune (PAC), qui dépense 50 milliards d’euros par an pour soutenir le secteur agricole, est-elle responsable ?

La PAC d’aujourd’hui n’a plus beaucoup de points communs avec la PAC d’hier. Elle n’intervient plus sur les prix agricoles. Nos agriculteurs sont très aidés certes, mais ils sont sans défense face aux dures lois des marchés. Cruelle ironie, ce sont surtout ceux qui se sont conformés au modèle productiviste promu par cinquante ans de PAC qui ne peuvent plus faire face aujourd’hui aux baisses des prix et au poids de leur dette. Dans ce contexte, quelle agriculture défendre pour l’avenir ? Faut-il persister dans la recherche d’une compétitivité accrue, quitte à adopter un modèle quasi industriel, à l’instar de la ferme dite « des mille vaches » ? Ce débat traverse les réformes successives de la PAC.

La PAC des années 1960 et 1970 trouvait sa légitimité dans la volonté d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et d’oublier les disettes de l’après-guerre. Le projet européen était de promouvoir une agriculture moderne reposant sur des exploitations familiales. Pour cela, l’UE a établi un système de prix garantis élevés, qui a permis aux agriculteurs d’investir et d’augmenter leurs rendements. La transition a été rapide. Ce sont des milliers de très petites fermes paysannes qui ont disparu pour laisser place à des exploitations agricoles de plus grande taille tenues par des agriculteurs-entrepreneurs, mieux formés et mieux équipés. Mais en 1992, la contrainte budgétaire et les négociations au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) forcent l’Europe à revoir les outils de soutien à son agriculture. Elle remplace les prix garantis par des aides directes à l’hectare. Les agriculteurs qui avaient vécu pendant trente ans dans l’illusion qu’ils vivaient du marché se découvrent chasseurs de primes. Et à ce jeu-là, ceux qui s’agrandissent touchent plus. 

L’Europe agricole change avec l’élargissement. Comment faire cohabiter 3 millions de petites fermes roumaines centrées sur l’autoconsommation et la pluriactivité, avec les immenses exploitations issues des anciennes fermes collectives soviétiques, tout en préservant le modèle familial de l’Europe occidentale ? L’ambition initiale du commissaire européen à l’Agriculture Dacian Ciolos, en charge de la réforme de la PAC de 2014, a été de défendre une PAC plus verte et plus juste, et de donner leur chance aux petites exploitations créatrices d’emplois. Mais quatre années de négociations ont détricoté ce projet. Les aides directement versées aux agriculteurs sont mieux réparties mais restent calculées en fonction des surfaces. Le budget du développement rural est maintenu et permet de soutenir l’agriculture en zone difficile, la montagne par exemple, et les évolutions vers des systèmes plus respectueux de l’environnement. Mais ces aides doivent être cofinancées par les États membres qui n’en ont pas tous les moyens. Au fond, l’Europe a choisi de ne pas trancher. La fin des quotas confirme la libéralisation des marchés pour donner l’opportunité aux exploitations très productivistes de s’agrandir encore et de réduire leurs coûts, au bénéfice du consommateur et du solde commercial. Mais l’UE accompagne aussi l’agriculture désireuse d’utiliser les ressources de son terroir et de son savoir-faire pour alimenter des marchés plus exigeants sur la qualité et l’environnement.

Le drame des éleveurs de porcs est d’être restés coincés au milieu du gué. Pas assez compétitifs par rapport aux producteurs danois ou allemands, ils ne sont pas non plus prêts à faire évoluer leur modèle intensif pour proposer des produits plus chers mais différenciés, porteurs d’une identité territoriale. Il existe dans la boîte à outils de la PAC des dispositifs pour accompagner cette évolution. Encore faut-il une vraie volonté des professionnels agricoles pour réinventer ce modèle et le défendre dans le cadre du projet de la PAC de 2020.

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