Nourrir le monde avec des jardiniers, le bio, les circuits courts, retrouver la prétendue sagesse paysanne d’antan… quelle aberration pour ceux qui, comme moi, connaissent la réalité des campagnes pauvres !

L’humanité a toujours vécu dans la hantise de la faim. Il faut se rappeler la pénibilité du travail agricole d’hier, qui a poussé les paysans à quitter en masse les campagnes, l’ampleur des contaminations alimentaires (4 000 morts par an en France en 1960), les drames causés par les ravageurs, les grandes famines indiennes, chinoises mais aussi irlandaise (1845-1851), la destruction du vignoble français par le phylloxéra… Quand les rendements à l’hectare ne dépassent pas une tonne, un paysan ne nourrit que sa famille et vit en situation précaire, dans la dépendance absolue du climat. La nécessité de conquérir sans cesse de nouvelles terres provoque la guerre. En 1960, l’espérance de vie mondiale n’est que de 45 ans. -L’humanité compte moins de 3 milliards de personnes. Près de la moitié souffre de la faim. 

Aujourd’hui, la terre porte 7,3 milliards de personnes qui vivent en moyenne 70 ans (82 ans en France). Non seulement l’agriculture moderne nous nourrit, mais elle fournit énergie renouvelable, produits biosourcés, alicaments. Les forêts ont été préservées. Une personne sur deux vit en ville, mieux et plus longtemps qu’hier. Les filières agroalimentaires ont sorti les femmes des cuisines et permettent d’avoir accès partout et en toute saison à une nourriture saine, sûre et peu chère. 

Entre 1960 et 2016, il y a eu les révolutions vertes, les variétés à haut rendement, le recours à la chimie pour venir à bout des ravageurs, la mécanisation des campagnes qui a libéré l’agriculteur de l’esclavage de la terre. Si une personne sur dix souffre toujours de la faim dans le monde, c’est parce qu’elle est pauvre. Le plus souvent un paysan aux moyens rudimentaires, à la merci des caprices du ciel.

L’Europe, hier affamée et dépendante, nourrit une partie du monde. Comme ses populations ont oublié la peur de manquer, elles conspuent leurs agriculteurs, coupables d’avoir trop bien réussi. Les solutions d’hier sont devenues les problèmes d’aujourd’hui : il faudrait bannir la chimie pour revenir aux fermes d’hier.

Les « solutions » de rechange qu’on nous propose sont admirables… à petite échelle. Elles reposent sur une forte dose de militantisme : la passion de celui qui produit sans compter ses heures, le pouvoir d’achat de celui qui achète sans regarder à la dépense. Leur généralisation provoquerait un immense retour de la faim. Souhaitons-nous ne nourrir que les riches ? Souhaitons-nous importer massivement notre alimentation de pays qui sont loin d’appliquer les mêmes normes environnementales et sociales que les nôtres ?

Arrêtons de faire comme si les méthodes des paysans n’avaient pas évolué depuis les années 1970 ! L’agriculture est aujourd’hui pleinement engagée dans la transition écologique. Le bio et le conventionnel travaillent de concert. Sans le second, le premier serait exposé au grand retour des ravageurs, que changement climatique et mondialisation multiplient. 

Il faudra produire un milliard de tonnes en plus d’ici 2050 pour répondre aux besoins des citadins de demain. Deux personnes sur trois vivront en ville et feront partie des classes moyennes. Comment oser penser que les gens se remettront à gratter la terre avec bonheur en guettant le ciel ?  

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