Le 11 septembre 2001 marque une étape dans l’internationalisation de l’antiterrorisme. Les Européens ont, dès avant cette date, commencé à s’organiser face à la menace commune à laquelle ils font face depuis les années 1970, mais l’ONU bute encore sur la question palestinienne qui divise la communauté internationale en deux camps. L’un, majoritaire au Conseil de sécurité, est en lutte contre les organisations palestiniennes qu’il qualifie de terroristes et dont il est l’une des cibles. L’autre, majoritaire à l’Assemblée générale des Nations unies, a toujours refusé de considérer les mouvements palestiniens comme terroristes et les regarde comme des mouvements de libération nationale. Devant l’impossibilité de s’entendre, et surtout devant l’impossibilité de proposer une définition commune du terrorisme, l’ONU s’est jusqu’alors contentée de mesures partielles, à l’exemple des conventions internationales interdisant les détournements aériens ou le trafic d’explosif. Mais, après le 11 septembre 2001, la communauté internationale paraît soudain unie.

Immédiates, les réactions de solidarité des alliés des États-Unis n’ont rien de surprenant. Les Européens expriment, notamment par la voix de leurs dirigeants, un traumatisme profond. La solidarité occidentale ne se limite pas au discours. Le 12 septembre, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord invoque l’article 5, qui établit la solidarité entre membres de l’organisation en cas d’attaque. Colonne vertébrale de l’Alliance, il n’avait jamais servi, même aux pires moments de la guerre froide, et n’a jamais été utilisé depuis. La question d’une opération militaire de soutien aux États-Unis est donc immédiatement sur la table. Plus remarquable encore, la solidarité dépasse le cercle des alliés traditionnels des États-Unis. La Russie, la Chine et même l’Iran ou la Syrie s’empressent de témoigner leur soutien à Washington, où le président Bush, pourtant en mauvaise posture dans les sondages à la veille des attentats, semble désormais incarner l’union nationale.

Le vocabulaire mobilisé témoigne de cette unanimité et la favorise : l’axe du bien veut combattre celui du mal. C’est la civilisation qu’il faut défendre, en faisant la guerre à la barbarie – quel pays choisirait de se situer dans le camp du mal et de la barbarie ? Mais est-ce vraiment nouveau ? En 1901, Theodore Roosevelt avait qualifié le terrorisme anarchiste de « crime contre l’espèce humaine ». En 1986, en butte à une vague d’attentats du Hezbollah, la France déclarait, par l’intermédiaire de Jacques Chirac, alors Premier ministre, vouloir faire la « guerre » au terrorisme (sans doute l’avait-il oublié lorsqu’il reprocha à George Bush d’employer la même expression après 2001).

Cette solidarité se traduit-elle dans les actes ? On semble d’abord le croire. Le Conseil européen adopte dès le 21 septembre un plan d’action, et surtout, une définition commune du terrorisme. Cela n’a rien d’anecdotique. Depuis 1898, toutes les conférences internationales ont échoué à se prononcer sur le sujet. L’ONU semble également prête, enfin, à se confronter à la question. Un Comité contre le terrorisme y est créé, affichant un objectif : développer la coopération internationale.

Mais les illusions sont de courte durée. D’emblée, le Comité contre le terrorisme de l’ONU renonce à le définir. Les exemples ne manquent pourtant pas, comme cette définition qu’en donne la loi française en septembre 1986 : « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Dans Paix et guerre entre les nations, paru en 1962, Raymond Aron écrit lui qu’« une action violente est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques ». Cependant, plusieurs temporalités sont à considérer : l’acte lui-même, l’attentat – cette « violence de guerre en temps de paix », disproportionnée et transgressive –, mais aussi les effets et les objectifs dans la durée, y compris par l’action politique ou idéologique. Le terrorisme n’est jamais que terrorisme ; il peut être aussi combat politique, idéologique, national, mobilisant à côté de la violence terroriste d’autres modes opératoires qui peuvent être légaux, et c’est sur la définition du tout que la communauté internationale, en proie aux intérêts nationaux divergents, n’a jamais réussi à se mettre d’accord. Le Comité contre le terrorisme des Nations unies se contente donc de demander aux pays membres des informations sur leurs législations et actions en la matière, afin de dresser un état des lieux et de lister les bonnes pratiques. L’ONU incite les États à améliorer leurs dispositifs propres et à conjuguer leurs efforts, sans viser à les internationaliser.

Car derrière l’apparente unanimité du 11 septembre pointent très vite des intérêts nationaux contradictoires. La Russie, immédiatement, ancre sa solidarité dans une expérience partagée. Le premier télégramme envoyé par Vladimir Poutine à George W. Bush précise que « les Russes ont fait eux aussi l’expérience de la menace terroriste ». Aussi le ministre des Affaires étrangères russe, Igor Ivanov, déclare-t-il espérer que Washington « va désormais modérer ses critiques à l’égard de la campagne russe en Tchétchénie » (Izvestia, 20 septembre 2001). Les Russes ne sont pas seuls à faire ce genre de calcul. Chacun pense à ses « minorités nationales ». Fidèles alliés de l’Otan, les Européens ne sont pas en reste. Ils s’empressent de remettre à jour la liste des personnalités et groupes terroristes à rechercher prioritairement, pour diffusion auprès de la communauté internationale. Ils n’oublient pas d’y faire figurer en bonne place de nombreux Basques…

De fait, le choc du 11 septembre 2001 ne permet pas aux tentatives d’internationalisation de la lutte antiterroriste d’échapper au sort qui a toujours été le leur par le passé. Ces attentats favorisent d’abord une large coalition contre l’Afghanistan. Mais, conjoncturelle, elle implose avec le choix de l’Irak comme seconde cible. Autrement dit, l’internationalisation de la lutte ne dure que six mois. Et, ironie du sort, les premiers à rompre le front commun sont les meilleurs alliés des États-Unis, ceux qui étaient les plus sincères le 11 septembre 2001 : les Européens de l’ancien bloc de l’Ouest, France et Allemagne en tête. 

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