L’histoire du terrorisme a longtemps été européenne. Apparu avec la Révolution française, le mot désigne d’abord les partisans de la politique de terreur menée par Robespierre. Son utilisation se diversifie rapidement. Dans les années 1860-1870, il renvoie, dans l’Europe des « nationalités », aux Irlandais ou aux Polonais en lutte pour leur indépendance. De grandes vagues terroristes achèvent ensuite d’ancrer ce mode opératoire dans notre histoire. Au XIXe siècle, le terrorisme anarchiste se développe en Europe occidentale (France, Italie, Espagne, Suisse), ainsi que, sous des formes parfois différentes, dans les empires autoritaires de Russie, d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie. Ce sont des Européens qui l’exportent, en Amérique latine et du Nord, avec l’assassinat du président américain McKinley par un anarchiste d’origine polonaise en 1901. Dans les années 1970-1980, le terrorisme d’extrême gauche, sans être strictement européen (il y a aussi l’Armée rouge japonaise), se développe particulièrement sur ce territoire (pensons à la bande à Baader-Meinhof en RFA, aux Brigades rouges italiennes, ou encore à Action directe en France). Et durant la même période, lui répond, toujours en Europe, un terrorisme d’extrême droite virulent et meurtrier, notamment en Italie. Même les terrorismes indépendantistes ou régionalistes sont nombreux sur le continent : dès le XIXe siècle, dans le cadre des empires multinationaux d’Europe centrale et des Balkans (Fraction révolutionnaire arménienne dans l’Empire ottoman, Main noire en Serbie…), puis en Europe occidentale (IRA en Irlande du Nord, ETA au Pays basque, FLNC en Corse, etc.).

L’image que l’on se fait des terroristes renvoie souvent à l’Europe, y compris hors de ce continent. À l’assassinat du président américain William McKinley (le 6 septembre 1901), son successeur Theodore Roosevelt réagit par une loi limitant l’immigration : le terrorisme anarchiste est alors perçu comme un désordre importé par les émigrés européens. Un réflexe comparable se manifeste à l’encontre des « rouges » lors de la Guerre froide. Plus contemporaine, une autre lecture arrime aussi le terrorisme à l’histoire européenne : celle qui consiste à l’expliquer, voire à le légitimer, par les politiques extérieures des États européens, de la colonisation à aujourd’hui. Et, malgré sa mondialisation au XXe siècle, statistiquement, le glissement géographique de l’activité terroriste vers des espaces non européens, notamment le Moyen-Orient, s’avère, en effet, relativement récent.

Aussi n’est-ce pas un hasard si les Européens se sont peu à peu imposés, à l’échelle internationale, comme des « experts » en antiterrorisme.

La réponse a été individuelle. Lorsque des fondamentalistes islamistes prennent 130 pèlerins en otage à La Mecque, en novembre-décembre 1979, les Saoudiens appellent à l’aide le GIGN français, déjà réputé pour ses capacités opérationnelles dans ce type de situation. En matière législative, les Allemands contre la Fraction armée rouge, les Britanniques face à l’IRA, les Espagnols face aux Basques, les Français à l’encontre de groupes politiques et/ou indépendantistes, mettent en place des législations d’exception adaptées à la menace terroriste : dès 1974 au Royaume-Uni, 1986 en France.

Collectivement, c’est à Rome qu’est organisée en 1898 la première conférence internationale consacrée à la question, à la suite de l’assassinat d’Élisabeth d’Autriche. C’est en Suisse que la Société des nations, dont les membres sont essentiellement européens, travaille à ce sujet. Dans les années 1970, les Communautés européennes amorcent une politique antiterroriste commune, notamment après l’attentat des JO de Munich, en 1972. Première forme de coopération intergouvernementale européenne contre le terrorisme, le groupe Trevi (Terrorisme, radicalisme, extrémisme, violence internationale) se met en place en 1975. Les objectifs sont alors surtout opérationnels et concernent l’échange d’informations en matière de menace terroriste. Mais, périodiques, les réunions des ministres (de l’Intérieur et/ou de la Justice) débouchent sur des coopérations plus larges, lançant l’idée d’un espace judiciaire européen. On la retrouve dans la structure en piliers issue du traité de Maastricht de 1992 (lequel fait de la « coopération policière en vue de la prévention et de la lutte contre le terrorisme », une « question d’intérêt commun »), puis dans le traité d’Amsterdam, en 1997.

Et, notons bien, c’est le 5 septembre 2001, six jours avant que les avions s’écrasent sur les tours jumelles, que le Parlement européen a voté une recommandation demandant l’adoption d’une « décision-cadre aux fins de rapprochement des dispositions législatives instaurant des règles minimales, au niveau européen, relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans le domaine du terrorisme ». L’Europe n’a donc pas attendu le 11 septembre 2001 pour être en pointe dans l’antiterrorisme. 

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