C’est une des scènes grinçantes du film The Square – le carré – du Suédois Ruben Östlund, qui reçut la Palme d’or à Cannes en 2017. Dans ce lieu symbolique qui délimite l’espace dans lequel tous les hommes et toutes les femmes peuvent se venir en aide par altruisme, le réalisateur a concentré toutes les lâchetés, petites ou grandes, de nos sociétés occidentales où aider l’autre ne va plus de soi. C’est une forme d’indifférence qui règne, nourrie par l’individualisme moderne. Et quand le héros du film, conservateur d’un musée d’art contemporain, finit par payer un sandwich à une migrante qui semble l’insulter, on perçoit son malaise silencieux. Ce que veut dire Östlund fait pourtant du bruit dans nos consciences : au nom de l’État providence, l’individu semble avoir délégué sa capacité d’empathie à des institutions publiques sans visage, dont l’objet, sinon la vocation, est de porter secours aux plus fragiles. Qu’il doive à titre individuel soulager une détresse lui paraît incongru puisqu’il paye beaucoup d’impôts pour ne plus entendre parler de la misère. Pour qu’elle soit traitée ailleurs qu’au pas de sa porte, sur le trottoir, entre la boulangerie et le distributeur de billets. Cette vision froide du don est bien sûr très pessimiste. Elle pousse à l’extrême ce que seraient nos sociétés si le lien social se défaisait au point de ne plus voir l’autre qui souffre comme un double de soi-même, sous prétexte qu’il existe des instances dédiées à la prise en charge de la misère, des « carrés » d’altruisme.
Depuis mars, au contraire, dans nos vies réelles ébranlées par la pandémie, les élans de générosité ont été nombreux et admirables. De quoi garder espoir en notre capacité individuelle et collective à savoir nous montrer humains. À rendre plus vivace encore, plus vitale et intense, la notion même de philanthropie. Les initiatives n’ont pas manqué pour apporter un soin particulier aux soignants harassés, une aide soutenue aux enfants en difficulté scolaire, aux plus faibles et aux plus démunis – personnes âgées, SDF, migrants. Ainsi s’est vérifiée l’observation de Camus dans La Peste, pour qui les périodes de chaos révèlent chez les hommes « plus de choses à admirer qu’à mépriser ».
Les Français sont-ils généreux et solidaires, et comment le sont-ils ? De quelles façons leurs dons se transforment-ils en actions concrètes, dans l’urgence comme dans la durée, en toute transparence et avec quelle efficacité ? Pour répondre à ces questions, ce numéro du 1 a été conçu et réalisé en partenariat avec cette institution majeure de la philanthropie qu’est la Fondation de France, créée à l’instigation du général de Gaulle et d’André Malraux il y a un demi-siècle. Si les raisons de donner restent immenses, l’espérance l’est tout autant de voir chacune et chacun de nous œuvrer davantage encore pour l’intérêt général.