133 jours à Wuhan avec un chien, un chat et la peur au ventre
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La voiture fonce à vive allure sur le périphérique. Splendide ciel d’hiver ce matin à Pékin, pas grand monde sur la route, l’effet des vacances du Nouvel An chinois sans doute. Coup d’œil sur les alertes de mon téléphone. Officiellement, il y a 17 morts, 500 personnes contaminées par ce mystérieux virus. Décollage à 9 h 30. J’ai mal à la tête, peut-être un peu de fièvre. La journée s’annonce longue, mais nous partons en reportage la fleur à la caméra, Gaël Caron et moi !
Tout d’un coup, une inconnue nous offre des masques. « Mettez-les, faites attention à vous », nous dit à bord une jolie cinquantenaire, le visage à moitié couvert comme ceux de quasiment tous les passagers de ce vol Pékin-Wuhan. L’avion est étonnamment vide, Wuhan ne semble pas être une destination très prisée ces temps-ci, avec le nouveau coronavirus.
Avant l’annonce du premier mort en décembre, peu nombreux étaient ceux qui avaient entendu parler de cette ville de 11 millions d’habitants, ville moyenne pour l’empire du Milieu, mais presque aussi peuplée que l’Île-de-France. Nous étions encore moins nombreux à pouvoir la situer sur une carte. Wuhan, de mon fauteuil d’avion, c’est avant tout la ville de la voiture, le Detroit ou le Boulogne-Billancourt chinois. Tous les grands constructeurs automobiles y ont installé des chaînes de production, des américains, des japonais, des sud-coréens et bien sûr des français, Renault et Peugeot en tête. Ma connaissance de Wuhan reste limitée. Quelques images d’un passé prospère, de concessions étrangères ; aujourd’hui, d’une ville de tours de verre, de routes aux voies multiples, comme toutes les métropoles chinoises. Le Yangzi aux eaux brunâtres, que Mao traversait à la nage, même à un âge avancé. Une ville universitaire avec 1,6 million d’étudiants, une liaison Air France plusieurs fois par semaine et… beaucoup de pollution.
C’est le Petit Timonier Deng Xiaoping, le numéro 1 chinois dans les années 1980, qui avait sonné l’heure de l’ouverture aux étrangers dans cette ville après une longue éclipse. Aujourd’hui, Wuhan se rêve en nouvelle Shanghai. Organisation de congrès, de compétitions internationales comme les jeux militaires de 2019. C’est aussi l’une des villes les plus francophones de Chine, qui multiplie les échanges universitaires, les coopérations médicales – entre le CHU de Nancy et de Wuhan –, scientifiques, bâtissant avec la France un laboratoire P4, le fameux qui fera couler beaucoup d’encre. Sa splendide gare a été dessinée avec le savoir-faire de la SNCF.
Wuhan entend faire parler d’elle. La ville a désormais une sorte de devise : « Il se passe quelque chose de nouveau tous les jours. » C’est sans doute vrai, mais, en ce mois de janvier, Wuhan est de retour dans l’actualité pour de bien tristes raisons. C’est la ville du coronavirus que les Chinois eux-mêmes appellent le « coronavirus de Wuhan » en ce mois de janvier.
Premier jour dans une ville malade
Immense et splendide aéroport international de Wuhan, atterrissage à l’heure sous un ciel bas et menaçant, il est temps de récupérer nos bagages, pied de caméra, valises, la mienne contient deux costumes, trois chemises, quelques masques, des cachets d’aspirine et des livres pour tromper l’ennui. Nous sommes partis pour une courte mission, deux ou trois jours comme à l’accoutumée. En fait, cette mission va durer 133 jours…
Nous fonçons vers l’épicentre de l’épidémie, là où tout a commencé. Avec notre chauffeur et notre interprète chinoise aux cheveux longs, enthousiaste, nous traversons cette ville malade. Après avoir roulé quarante minutes, nous arrivons dans le quartier de Jianghan, la grande gare de Haikou à gauche, à droite une école, un hôpital. Il n’y a pas grand monde dans les rues, des habitants masqués, mais je remarque aussi que beaucoup ne le sont pas, le port du masque n’est pas encore obligatoire. Enfin, nous arrivons au marché de Huanan, l’épicentre, le premier foyer connu de contamination, l’antre du diable. Officiellement, il est fermé pour rénovation depuis le 1er janvier, mais personne n’est dupe. Ici, plus de 40 personnes sont tombées malades ; elles travaillaient là ou fréquentaient l’endroit. Selon la légende urbaine, le marché est toujours habité, certains animaux seraient toujours bloqués, enfermés, à l’agonie.
Le marché est inaccessible. Des vigiles en noir, casquette vissée sur la tête, sans expression, surveillent les entrées, des voitures de police patrouillent tout autour. Notre voiture s’arrête, je mets un pied à terre. Un confrère chinois me prévient : « Attention, vous avez bien un masque, mais pas de lunettes pour vous protéger ! » J’avoue que je n’y avais pas pensé. Ce que l’on sait seulement depuis deux jours, c’est que ce nouveau coronavirus est transmissible d’homme à homme. Nous convenons avec l’équipe de ne pas rester trop longtemps.
L’endroit est immense, 50 000 m2, plus de mille stands de vendeurs… Il paraît un peu sale de loin, mais on l’imagine animé, grouillant, populaire. C’est un lieu mort tel que nous le découvrons. C’est un marché de gros, un Rungis chinois, en plein centre de la ville. Comme dans tous les marchés du monde, les clients pouvaient trouver du mouton, du bœuf, du porc, des fruits, des légumes, des crustacés, du poisson. Sauf que nous sommes en Chine. Ma traductrice m’éclaire. On trouvait aussi sur ce marché toutes sortes d’espèces sauvages : des serpents, des petits rats de bambou, des louveteaux et, sous le manteau, des pangolins. Les Asiatiques aiment la chair tendre et savoureuse de ce petit mammifère à écailles, espèce en voie de disparition. On en trouvait à 250 euros les 500 grammes dans les restaurants. Ses écailles servent aussi à la médecine traditionnelle chinoise. Le pangolin et la chauve-souris sont les suspects numéro 1 de l’origine du virus.
Il est temps de filer. Direction un hôpital, l’un des quarante de la ville. Le Wuhan Union, avec sa façade rouge, est à 20 minutes en voiture du marché. C’est ici que les premiers patients atteints de cette étrange pneumonie virale ont été accueillis. Il y a une forte présence policière, des hommes en combinaison blanche avec capuche à l’entrée, et un camion de désinfectant qui fait des allers et retours pour nettoyer la route, quelques taxis qui déposent des patients ou des familles inquiètes. Nous restons de l’autre côté du trottoir, Gaël fait quelques images, pas la peine de s’attarder, pas la peine de se faire repérer.
La nuit commence à tomber. Dans les quartiers touristiques, pas un chat. La période du Nouvel An chinois devait être une fête, l’équivalent de Noël, du Nouvel An et des grandes vacances réunis. Tout cela est gâché par le virus. Les autorités chinoises ont demandé aux habitants de rester chez eux, et l’appel, comme souvent en Chine, est suivi. Ambiance morose. Seuls lieux de vie ce soir, les pharmacies. Les Wuhanais se ruent sur les masques de protection, il n’y en a déjà quasiment plus dans celle où nous filmons. Je m’apprête à faire un plateau face à la caméra, j’enlève mon masque quand tout à coup trois hommes en noir venus de nulle part me demandent de le remettre et de passer notre chemin, après avoir contrôlé nos passeports et cartes de presse.
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