La Polonaise Wislawa Szymborska publie ce poème en 1993. Songe-t-elle à la guerre en Yougoslavie, à celle du Rwanda ? On enterre les morts alors que les caméras se détournent aujourd’hui de la Syrie, demain peut-être de l’Ukraine. Au XXe siècle comme au XXIe, « voyez comme elle est toujours en forme, la haine ». 

Après chacune des guerres
il faut bien nettoyer.
Un peu d’ordre dans tout ça
ne se fera pas tout seul.


Quelqu’un doit bien écarter
les gravats qui encombrent les routes,
sinon, comment passeraient
les charrettes pleines de cadavres.


Quelqu’un devra patauger dans
la fange et les cendres
les ressorts des divans
les débris de verre
les haillons sanglants.


Quelqu’un doit traîner la poutre
qui calera le mur.
Quelqu’un doit replacer la vitre
et regonder la porte.


C’est pas photogénique,
et ça prend des années.
Toutes les caméras sont déjà
parties voir une autre guerre. […]


Ceux qui sont au courant
du pourquoi du comment
céderont bientôt la place
à ceux qui en savent peu.
Puis à ceux qui en savent prou.
Et enfin, rien du tout.


Dans l’herbe qui a poussé
sur les causes et sur les effets
il faut quelqu’un qui se couche
un épi entre les dents
à regarder les nuages.

De la mort sans exagérer, Poèmes 1957-2009, traduit du polonais par Piotr Kaminski
© The Wisława Szymborska Foundation, www.szymborska.org.pl
© Éditions Gallimard, 2018 

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