« Clef de l’Afrique intérieure, par le Nil ; par son isthme, gardienne du point le plus important de l’empire des mers, l’Égypte n’est pas une nation, c’est un enjeu, tantôt récompense d’une domination maritime légitimement conquise, tantôt châtiment d’une ambition qui n’a pas mesuré ses forces. Quand on a un rôle touchant aux intérêts généraux de l’humanité, on y est toujours sacrifié. […] 

Vous ne vous êtes pas dissimulé que le percement de l’isthme servirait tour à tour des intérêts fort divers. Le grand mot : “Je suis venu apporter non la paix, mais la guerre”, a dû se présenter fréquemment à votre esprit. L’isthme coupé devient un détroit, c’est-à-dire un champ de bataille. Un seul Bosphore avait suffi jusqu’ici aux embarras du monde ; vous en avez créé un second, bien plus important que l’autre, car il ne met pas seulement en communication deux parties de mer intérieure ; il sert de couloir de communication à toutes les grandes mers du globe. En cas de guerre maritime, il serait le suprême intérêt, le point pour l’occupation duquel tout le monde lutterait de vitesse. Vous aurez ainsi marqué la place des grandes batailles de l’avenir. Que pouvons-nous, si ce n’est de cerner le champ clos où se choquent les masses aveugles, de favoriser, dans leur effort vers l’existence, toutes ces choses obscures qui gémissent, pleurent et souffrent avant d’être ? Aucune déception ne nous arrêtera ; nous serons incorrigibles ; même au milieu de nos désastres, les œuvres universelles continueront de nous tenter. » 

 

Réponse au discours de réception de Ferdinand de Lesseps à l’Académie française, 23 avril 1885

 

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