L’oléoduc sumed

Conçu en 1973 après la fermeture du canal de Suez consécutive à la guerre des Six Jours, le pipeline Suez-Méditerranée est un oléoduc de 320 km qui relie le terminal Ain Soukhna, près de la mer Rouge, au terminal offshore de Sidi Kerir, en Méditerranée, près d’Alexandrie. Ouvert en 1977, il appartient à l’Arab Petroleum Pipeline Company/ Sumed Company, une coentreprise égyptienne (50 %), saoudienne (15 %), émiratie (15 %) koweïtienne (15 %) et qatarie (5  %). Point névralgique pour l’acheminement du pétrole avec une capacité de 2,5 millions de barils par jour, cet oléoduc permet aux superpétroliers de s’alléger de leurs cargaisons et de passer à vide le canal de Suez avant de récupérer le brut au sortir de leur traversée.

 

Lesseps déboulonné

Jusqu’en octobre 1956, les navires étaient accueillis au bout de la jetée de Port-Saïd par un Ferdinand de Lesseps géant, leur tendant la main. Cette statue de bronze, réalisée par Frémiet, atteignait presque sept mètres de hauteur, sur un piédestal qui en faisait plus de dix. Elle a été dynamitée et brisée en plusieurs morceaux par la « résistance populaire », lors de l’intervention militaire anglo-franco-israélienne. Quoique restaurée par la suite, elle a été reléguée dans un hangar.

Au xixe siècle, un autre sculpteur, Bartholdi, avait proposé de représenter une paysanne égyptienne, coiffée du némès pharaonique et levant le bras. Ce projet, non retenu, devait être détourné vers New York pour devenir la statue de la Liberté.

 

Ismaïlia, capitale de l’isthme

Fondée en 1862 sur les bords du lac Timsah, Ismaïlia était destinée à être un port intérieur pour le ravitaillement et la réparation des navires. Mais cette ville d’ingénieurs, qui ressemblait jusqu’à la Seconde Guerre mondiale à une sous-préfecture française, a surtout été le siège administratif de la Compagnie universelle de Suez. Nationalisée en 1956, cette dernière s’est convertie en société financière, tandis que ses actionnaires étaient indemnisés. La voie d’eau est gérée depuis lors par l’Autorité du canal de Suez, un établissement public de droit égyptien, présidé par un amiral. Ce canal rapporte en moyenne à l’égypte entre 5,3 et 5,9 milliards de dollars par an.

 

Sous Surveillance militaire

Le tracé et les installations du canal sont surveillés par de nombreux dispositifs militaires. Jusqu’au retrait israélien du Sinaï en 1982, ce corridor stratégique fut une frontière entre l’Égypte et Israël. Il est à présent bordé de murs et de palissades, ainsi que de miradors et de check-points répartis sur la route qui le longe. Dès qu’un bâtiment militaire entreprend sa traversée, il fait l’objet d’une surveillance aérienne. Drones, hélicoptères, avions F-16 et Rafale achetés en 2015 par l’Égypte à la France complètent la panoplie défensive du canal. Si l’attaque terroriste au lance-roquettes contre le porte-conteneurs chinois Cosco Asia, en 2013, échoua, l’armée égyptienne doit maintenir sa vigilance face aux groupes djihadistes présents dans le nord du Sinaï.

 

La corvée, puis les dragues

Trois entreprises sont menées simultanément à partir du 25 avril 1859. Il s’agit d’établir un port sur la Méditerranée, de réaliser un canal maritime de 160 km reliant cette ville nouvelle à Suez sur la mer Rouge, et de creuser un second canal, d’eau douce celui-là, à partir du Nil, pour alimenter les campements. 

Neuf autres chantiers sont ouverts à l’intérieur de l’isthme. S’y succèdent tous les dix mois des contingents de 20 000 paysans, réquisitionnés et amenés sur place, qui s’affairent à piocher. à partir de 1864, ce recours massif à la corvée cède la place à l’embauche d’ouvriers étrangers, ainsi qu’à l’emploi d’immenses dragues et d’excavateurs à vapeur.

 

Une zone spéciale pour investisseurs étrangers

Ce chantier, lancé en 2015 après le doublement partiel du canal décidé par le maréchal Sissi, est un enjeu majeur pour l’Égypte qui voudrait y concentrer 30 % de son activité économique. Avec cette zone spéciale, l’objectif ambitieux du maréchal Sissi est d’attirer des investisseurs du monde entier, principalement d’Europe, d’Asie et d’Afrique de l’Est. Cette zone qui s’étale sur 460 km2 devrait voir s’implanter à des conditions financières favorables des industries légères et des complexes pétrochimiques, des activités logistiques, techniques et commerciales. À ce jour, les Russes et les Chinois, qui intègrent le canal dans leurs « nouvelles routes de la soie », ont pris des concessions encore modestes. Les autorités visent la création d’un million d’emplois en 2030, avec des recettes de 100 milliards de dollars par an pour l’État. Le projet comprend aussi la construction de deux villes nouvelles (East Port Said et New Ismaïlia) et de nouveaux ports, afin d’accueillir deux millions de nouveaux résidents.

 

 

Un environnement perturbé

La construction du canal a créé une coupure écologique sans précédent, interdisant aux animaux terrestres une migration naturelle de l’Afrique vers l’Asie. Les transferts d’eau massifs de la mer Rouge vers la Méditerranée ont entraîné en revanche d’importantes migrations d’espèces, dites « lessepsiennes » jusqu’en Algérie, en Grèce, en Italie ou en Corse. Il s’agit de quelque 900 espèces d’invertébrés, de poissons exotiques parfois prédateurs des forêts de micro-algues, comme le poisson-lapin, ou de poissons dangereux à ne pas consommer, tels les poissons-ballons ou les poissons-pierres. La mer Rouge étant l’une des plus salées du globe, l’eau de la Méditerranée a vu sa salinité augmenter dans la zone du canal, de même que sa température. Si cet espace couvre à peine 1 % des océans, il voit transiter 30 % du volume des échanges maritimes de la planète. Une concentration qui aggrave les risques de marée noire, surtout lors de violentes tempêtes. La présence de 130 000 moutons bloqués dans onze navires roumains lors de l’échouage de l’Ever Given a alerté l’opinion sur l’usage du canal pour le transport animal.

 

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