Ce pourrait être la version orientale de la sardine (en réalité le Sartine, la fameuse frégate, et non le petit poisson) qui bloqua jadis le port de Marseille. Lorsque le 23 mars au matin, dévié par un traître coup de vent, le porte-conteneurs géant Ever Given a éperonné en diagonale une berge rocheuse du canal de Suez, c’est le commerce mondial qui s’est mis à marcher de travers. L’incident nous le rappela brutalement : la mondialisation, ce sont aussi des voies d’eau et des bateaux. Si 10 % des échanges du globe passent par cette « corde bleue tendue dans le sable », forte image du géographe André Siegfried, l’Ever Given symbolise à lui seul notre époque globalisée : construit au Japon, battant pavillon panaméen, exploité par l’armateur taïwanais Evergreen Marine, techniquement géré par la firme allemande BSM (Bernhard Schulte Shipmanagement), dégagé grâce à l’intervention de la société néerlandaise Boskalis, l’Ever Given est un condensé du monde.

Alourdi par son chargement de 18 300 conteneurs, il n’a pu repartir dans le bon sens de navigation qu’après six jours d’intervention intense menée par treize remorqueurs, moyennant aussi l’extraction de 27 000 m3 de sable… et le coup de pouce de la marée haute. Pendant ce temps, quelque 420 navires attendaient, avec un coût estimé à 400 millions de dollars par heure de blocage du canal, et une facture totale qui oscillerait entre 6 et 9 milliards de dollars. Les cours du pétrole se sont enflammés, les retards dans le transit Chine-Europe se sont accumulés. Le canal de Suez a bel et bien fourni « les feuilles de température de la planète », comme l’écrivait déjà Paul Morand il y a tout juste un siècle.

L’Ever Given libéré, le trafic a fini par reprendre sur cet axe stratégique, mais le 1 a voulu, sans jeu de mots, « creuser » cette actualité pour raconter la riche histoire du canal de Suez, tour à tour lieu de domination coloniale française et britannique avant d’incarner la fierté nationale de l’Égypte. Pour éclairer ce numéro, outre la plume savante de Robert Solé, nous avons sollicité Hoda Nasser, fille aînée de Gamal Abdel Nasser, et l’expert en géopolitique Michel Foucher. Quant au poster, il offre une traversée du canal de Suez grâce à une carte spectaculaire qui donne à voir en détail ce lieu mythique et ses emplacements stratégiques. Enfin, notre journal innove cette semaine encore avec son premier podcast La Voix du 1, animé par la journaliste Julie Gacon, qui s’entretient pendant une heure avec Robert Solé et Sylvain Cypel. Afin de poursuivre le voyage… 

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