Les vitraux de Conques sont en parfait accord avec l’abbatiale Sainte-Foy. Ce n’est pas un mince compliment, tant je connais les redoutables difficultés à poser une pensée et une écriture d’aujourd’hui dans un monument qui a échappé aux catastrophes de l’histoire.

C’est périlleux, c’est difficile.

Dans les cent quatre ouvertures que compte l’abbatiale, Pierre Soulages a trouvé le moyen de retourner l’outrenoir qui caractérise la matérialité de ses peintures sur toiles, dans un écrasement des échanges chromatiques de la lumière du ciel et de la pierre de l’édifice.

Autrefois des plaques cristallines en albâtre amincies ont pu jouer à leur manière le même rôle.

Ici le peintre a conçu un matériau filtrant et une architecture sévère de ­barlotières*.

L’immersion du regardeur dans l’espace du sanctuaire, mais également lorsqu’il appréhende cet espace depuis l’extérieur, est renforcée par la rythmique des obliques de fer tendues dans les ­ouvertures.

C’est un noir posé sur le ciel.

Un jeu avec l’opacité traçante des barlotières en fer qui cadrent et laissent passer la lumière pour produire des tableaux dans le tableau.

Les différentes couleurs du jour sur cette matière miroitante assurent la clôture sévère du sanctuaire, mais aussi sa respiration lumineuse.

Toute l’intelligence de l’artiste a consisté à savoir établir une filiation moderniste avec la sobre esthétique romane, par la création d’un verre microbillé capable de produire une opalescence à l’intérieur même de sa matière, et de tendre ainsi un double miroir à l’extérieur et à l’intérieur de l’édifice.

La splendeur de cette vitrerie modeste participe de son pouvoir à diffracter les différentes couleurs du spectre.

C’est radical, élégant et en harmonie en tout point avec le matériau constructif de l’abbatiale.

Les couleurs des schistes, des lauzes viennent se confronter aux sanguines, aux violines ou aux orangés du couchant…

Comme sur ses tableaux, l’outrenoir recueille l’empreinte des creusements du plan par la brosse et le couteau, mais ici les gestes et leur action d’empreinte sont confiés à la puissance du ciel.

Se retournent alors sur l’opacité rythmique des fers des effets de lumière cadrés comme autant de tableaux différents qui viennent s’empreindre dans l’œil du ­regardeur.

Le noir d’ivoire de l’outrenoir de ses peintures se renverse en outremiel.

C’est une luminescence intérieure venue de l’épaisseur même de l’espace architectonique, puisque les fenêtres font corps avec l’édifice.

Une action restreinte est portée par les ondulations obliques qui retournent la planéité des ouvertures dans l’épaisseur élastique de la sensibilité.

Voici plus de soixante ans, Henri Matisse affirmait : « Il faut regarder toute la vie avec des yeux d’enfants », avant de baptiser le noir « couleur lumière ». Mais si l’outrenoir de Soulages bascule à Conques dans l’outremiel du ciel, c’est que le peintre n’a pas confondu l’opération de trébuchement du regard sur le tableau éclairé par la lumière extérieure avec l’immersion physique d’une lumière venue de l’intérieur d’un édifice qui a échappé aux catastrophes du temps. 

* Traverses métalliques qui servent au maintien des panneaux.

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