Une impuissance européenne ?
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L’Union européenne a semblé absente des « épisodes » Aquarius ou Open Arms. En dépit du grand nombre de mesures adoptées, l’UE paraît incapable de gérer – à défaut de résoudre – la crise migratoire. Mais la critique de cette impuissance est-elle fondée ou l’accusation se trompe-t-elle de cible ?
Souvent, malgré les discours, ce n’est pas « l’Europe » qui décide en matière migratoire. Dans certains domaines cruciaux, l’UE n’a aucune compétence : ainsi, les États membres fixent seuls le volume de migrants économiques qui entrent en Europe. Dans les domaines de l’accueil des demandeurs d’asile ou de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, l’UE a certes une compétence mais elle est partagée avec les États, qui conservent une importante capacité d’agir. Et quand l’UE adopte des textes, ils se contentent souvent de rapprocher les droits nationaux, sans les unifier. De plus, quand l’UE « décide », c’est avec l’accord de la majorité renforcée de ses États réunis au Conseil ou par une action du Conseil européen, auquel participent les seuls chefs d’État et de gouvernement. C’est dans ce cadre qu’a été mis en place l’accord avec la Turquie pour empêcher l’arrivée des demandeurs d’asile en Grèce. Penser la politique d’immigration en Europe comme une politique « européenne » est donc une présentation en trompe-l’œil. L’impuissance de l’UE tient pour partie à son manque de compétence, de sorte que la responsabilité de l’échec dans la gestion de la crise est imputable autant à l’UE qu’à ses membres, qui préfèrent souvent l’unilatéralisme à la stratégie coopérative et entravent l’action commune qui les contraindrait à la solidarité. Alors qu’en 2015, la Commission construisait un mécanisme de « relocalisation », visant au partage de l’accueil des demandeurs d’asile, la France n’a accepté de recevoir qu’un nombre dérisoire de réfugiés et les États de Visegrád ont, eux, refusé d’appliquer cette décision.
Mais l’impuissance de l’UE n’est pas seulement institutionnelle, elle est aussi politique : l’UE est écartelée entre ses États et ses objectifs. Résoudre la crise nécessite en effet l’adoption de règles communes. Or la Commission européenne, titulaire du droit d’initiative législative, doit fonder ses propositions sur des compromis acceptables par une majorité d’États membres. Mais ceux-ci sont introuvables : comment organiser le partage de l’accueil des demandeurs d’asile, ardemment souhaité par l’Italie et la Grèce, quand la Pologne et la Hongrie refusent toute forme de « solidarité imposée » ? Depuis 2016, l’UE tente de réformer les textes fondateurs de sa politique d’asile mais la réforme s’enlise, à l’image du dispositif Dublin. Mal construit depuis l’origine, ce mécanisme de répartition des demandeurs d’asile conduit à surcharger les États périphériques de l’UE ; sans surprise, ces derniers l’appliquent mal. Quant aux demandeurs d’asile, qui veulent pouvoir choisir leur État d’asile, ils l’évitent. Mais privilégiant la contrainte et la sanction, l’UE continue de défendre ce mécanisme. Ce faisant, l’Union durcit toujours plus le dispositif, au détriment des droits fondamentaux des migrants.
Aujourd’hui un choix s’offre à l’Union : persister à fonder une politique européenne sur l’introuvable plus petit commun dénominateur des volontés étatiques ou penser sa politique d’immigration et d’asile sur la base de ses propres valeurs. On comprend pourquoi John Kerry considérait, avec lucidité, que la crise migratoire constitue pour l’Union « une crise quasi existentielle ».
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