Dans toute mon existence, je n’ai connu aucun instant que je puisse qualifier de décisif ; mais certains se sont rétrospectivement chargés d’un sens si lourd qu’ils émergent de mon passé avec l’éclat des grands événements. Je me rappelle mon arrivée à Marseille comme si elle avait marqué dans mon histoire un tournant absolument neuf.

J’avais laissé ma valise à la consigne et je m’immobilisai en haut du grand escalier. « Marseille », me dis-je. Sous le ciel bleu, des tuiles ensoleillées, des trous d’ombre, des platanes couleur d’automne ; au loin des collines et le bleu de la mer ; une rumeur montait de la ville avec une odeur d’herbes brûlées et des gens allaient, venaient au creux des rues noires. Marseille. J’étais là, seule, les mains vides, séparée de mon passé et de tout ce que j’aimais, et je regardais la grande cité inconnue où j’allais sans secours tailler au jour le jour ma vie. Jusqu’alors, j’avais dépendu étroitement d’autrui ; on m’avait imposé des cadres et des buts ; et puis, un grand bonheur m’avait été donné. Ici, je n’existais pour personne ; quelque part, sous un de ces toits, j’aurais à fair

Vous avez aimé ? Partagez-le !