Une page d’écriture dit souvent beaucoup d’un être. Michel Rocard avait une écriture claire, formée, un peu anguleuse, qui révélait sa rectitude morale, son ouverture à l’Autre, à l’ailleurs, et son exigence intellectuelle. Sa manière de noircir la page blanche était unique : chaque ligne était plus courte que la précédente, si bien qu’un triangle se dessinait progressivement. Je me suis souvent interrogé sur le sens de ces calligraphies et de ces mises en pages. Au fond, elles démontraient que l’extrême régularité l’ennuyait et que Michel Rocard était, avant toute chose, un homme libre. Libre de penser et de faire, s’affranchissant d’un cadre convenu ou trop normé.

Michel Rocard, c’est une histoire d’engagements. De luttes. D’indignations. Une volonté de regarder la vie en face, le réel en face, non seulement pour les décrire, mais surtout pour les changer. N’accepter rien de ce qui était injuste ou convenu. La torture en Algérie, l’étouffement de la société française, la lourdeur de l’État, le réchauffement climatique, la fatigue de l’Europe, l’oubli de l’Afrique.

Ses causes ont été multiples, diverses, et il leur est toujours resté fidèle. Car il ne voulait pas seulement les dénoncer. Il ne voulait pas se servir d’elles. Il voulait les servir pour mieux changer le monde.

Pour moi, Michel Rocard est un exemple. De conviction, d’engagement, d’exigence intellectuelle et d’action.

La France a souvent été injuste avec Michel Rocard. Il a connu des traversées du désert, des déconvenues, des trahisons. Mais il n’a jamais abandonné ses combats, sa famille et ses amis. Ils sont nombreux, celles et ceux qui l’ont accompagné ou servi, et dont il était le point de ralliement, au 266 du boulevard Saint-Germain, et plus largement derrière lui, dans son sillage, dans le droit fil de ce qu’il représentait. Il a peuplé la vie de beaucoup d’êtres en les unissant autour de combats communs. Il continuera de les peupler, aussi longtemps que vivront ses idées.

Avec Sylvie, ces dernières années, il passait beaucoup de temps avec les nombreux animaux qui avaient fini par prendre possession de leur maison. Je me souviens d’un chat malingre, pour lequel il avait une tendresse particulière. En Inde, il y a quelques années, Michel avait failli mourir. À l’hôpital, ce petit chat lui rendait visite chaque jour à sa fenêtre. Alors, il avait décidé de le ramener en France avec lui. C’était aussi cette générosité fantaisiste, Rocard. Le petit chat continuait à le suivre des yeux par la fenêtre de la maison d’Île-de-France.

Ce matin, il doit chercher, un peu perdu, le regard dans le vide, la présence bienveillante de cet aventurier enthousiaste qui lui avait fait traverser plusieurs continents pour arriver là. Ce matin, nous sommes beaucoup comme lui, un peu perdus, le regard dans le vide. 

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