Dans les heures qui ont suivi l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, de nombreuses images sont apparues sur les réseaux sociaux, comparant les images réelles de la catastrophe à celles de la récente série télévisée Chernobyl, déjà inscrites dans les esprits. Certes les séries sont nombreuses à décrire la destruction du monde tel que nous le connaissons, de The Walking Dead à The Leftovers ou The Handmaid’s Tale. Mais elles ne présentent quasi jamais le moment même de la catastrophe, comme si ces images étaient trop grandes pour le petit écran. La catastrophe, industrielle ou climatique, y est dès lors représentée autrement, sur une autre durée et dans son action invisible, qui est précisément ce que nous cherchons vainement dans les images.

S’il est bien un souci que n’ont pas les survivants du désastre dans la série The Walking Dead et son spin-off Fear the Walking Dead, c’est celui de la qualité de l’air qu’ils respirent. Toutes les industries et infrastructures y sont désormais anéanties, et rares sont les véhicules qui roulent avec les maigres restes de carburant. Pourtant, dans la cinquième saison de Fear the Walking Dead – et comme si les choses pouvaient être pires encore que la transformation de l’essentiel de la population en morts-vivants décérébrés –, le petit groupe des survivants atterrit à Austin, Texas, dans une zone très dangereuse, où une centrale nucléaire a explosé à la suite du massacre de son personnel, et où le niveau de radioactivité crève le plafond, comme en témoignent les dosimètres au cou des horribles « walkers » irradiés et mutants que sont devenus les ingénieurs et techniciens de la centrale.

Fear the Walking Dead comme Chernobyl, la minisérie à succès de HBO, montrent ainsi le risque nucléaire comme redoublé par la destruction des infrastructures et des institutions politiques. La vulnérabilité des formes de vie humaine est alors inséparable de la vulnérabilité même du politique. On peut constater l’obsession, dans ces deux séries, de la radioactivité des corps et des personnes, présentée comme un virus transmissible, et non comme une pollution industrielle empoisonnant tout le vivant.

Chernobyl nous révèle également, comme en abyme, notre fascination pour les images de la catastrophe, avec le spectacle terrifiant des habitants regroupés sur un pont et admirant les couleurs de la colonne de fumée et de poussières radioactives émanant de la centrale. Si l’on est si accroché aux images de la catastrophe, c’est justement parce qu’elles renvoient à l’invisible.

Le nucléaire devient ainsi un objet de la culture populaire : cela signale l’arrivée bien tardive au premier plan de la vie publique des préoccupations de santé environnementale, et la découverte des risques pour toutes les formes de vie (humaines, animales, végétales) que créent les éléments toxiques dans leur environnement, des pollutions chimiques à la radioactivité. L’idée que l’air qu’on respire, l’eau ou l’alimentation peuvent tuer, non dans un bref scénario catastrophe mais sur le long terme et de façon invisible ne peut, précisément, être représentée. Chernobyl le fait pourtant de deux façons, en filmant les particules et débris, et en montrant de façon réaliste les effets radicaux de la contamination sur la santé et la vie des victimes (employés de la centrale, pompiers, habitants, scientifiques, ouvriers…). Plus subtilement, on ne peut qu’apprécier la façon dont Chernobyl informe sur les causes et effets bien concrets d’une catastrophe industrielle, et la façon dont l’invisible mute monstrueusement en visible. C’est bien la vulnérabilité des formes de vie – irréductible à tout calcul de risque – qui se dévoile et nous fascine, comme la responsabilité des humains dans leur propre destruction. 

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