Le 26 septembre dernier, alors que la France se réveillait en apprenant la mort de Jacques Chirac, le ciel de Rouen se voilait de noir, comme s’il portait le deuil de l’ancien président. Depuis trois heures du matin, un vaste incendie dévastait l’usine de lubrifiants auto­mobiles ­Lubrizol, classée « Seveso seuil haut », consumant près de dix mille tonnes de produits chimiques et répandant dans les airs un panache toxique sur plus de vingt kilomètres. Un mois après la catastrophe, ce numéro du 1 revient à Rouen pour tenter de saisir les enjeux soulevés par l’événement, qu’on peut ranger dans au moins trois ordres. Le premier touche à l’incendie lui-même : de nombreuses questions ­planent encore sur les causes et les conséquences de l’accident. Pourquoi un tel incendie a pu avoir lieu sur un site connu pour abriter des substances toxiques ? Les habitants de la région et les forces d’intervention ont-ils été suffisamment protégés ? Et quelle peut être, sur le long terme, la nocivité des produits relâchés dans l’atmosphère et les sols ? Les ­discours rassurants des autorités peinent aujourd’hui à convaincre les riverains, la faute à un passé riche en silences et en dissimulations.

Le deuxième point renvoie, de façon plus générale, à la sécurité des sites Seveso et à la répétition des accidents industriels : plus de 160 en 2018 sur ces sites sensibles, en hausse de 45 % sur deux ans. D’autant que les incidents ont continué à se multiplier cet été dans l’industrie française, de l’explosion d’une usine de méthanisation à Plouvorn, dans le Finistère, à la fuite d’acide nitrique chez le fabricant d’armes MBDA à Bourges. Trois jours avant l’incendie de Rouen, le député d’Eure-et-Loir Guillaume ­Kasbarian avait remis au Premier ministre un rapport « pour simplifier et accélérer les installations industrielles », en raccourcissant notamment les évaluations environnementales. Le débat mérite aujourd’hui d’être relancé sur les arbitrages à mener entre efficacité économique et protection des populations.

Enfin, au-delà de la rhétorique du scandale, cet accident met en lumière les problèmes que pose le maintien d’une pétrochimie forte sur notre territoire, comme le pointe l’historien Jean-­Baptiste ­Fressoz dans ces pages. À l’heure où la France est tenue de s’engager dans une transition écologique rapide, ne serait-ce que pour respecter ses engagements internationaux, l’incendie de l’usine ­Lubrizol et de ses milliers de tonnes d’hydrocarbures vient rappeler le poids de ce secteur extrêmement polluant. Et souligne ce constat accablant : le plus gros risque que fait planer l’industrie pétrochimique sur notre santé n’est pas celui d’un éventuel accident. C’est de fonctionner trop bien. 

 

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