En Iran, en l’absence d’espace public libre, ce sont les réseaux sociaux qui remplissent ce rôle. C’est là où les jeunes Iraniens et Iraniennes se rencontrent, échangent, tissent des liens. La plupart d’entre eux ont accès à Internet, même depuis des villages reculés, et disposent de plusieurs comptes sur X (anciennement Twitter), Instagram ou Clubhouse. Ils y créent un espace d’échange politique où ils confrontent leurs idées, sans que cette pluralité d’opinions ne paraisse nuire à leur solidarité. Dans un contexte de grande défiance envers les médias traditionnels, souvent utilisés à des fins de propagande par le régime, ces plateformes offrent aussi un accès à l’information.

En permettant de se mobiliser et de dénoncer les actions du pouvoir en place, ces réseaux sociaux orientent parfois à marche forcée les politiques du régime. En juillet 2020, par exemple, l’annonce de la condamnation à mort de trois jeunes qui avaient participé aux manifestations pacifiques de novembre 2019 a choqué la société iranienne et suscité de vives contestations sur les réseaux sociaux. Le hashtag #StopExecutionsInIran a été repris plusieurs millions de fois sur Twitter et Instagram, devenant le plus populaire du monde pendant quelques heures. Grâce à cette mobilisation numérique, les Iraniens ont attiré l’attention de la communauté internationale sur l’injustice du verdict prononcé par la Cour religieuse de la République islamique, et l’exécution des trois jeunes a été reportée.

Le régime des ayatollahs a vite compris l’enjeu de restreindre l’accès à ces plateformes, en bloquant Internet ou en appliquant des mesures entravant leur usage. Dès mai 2020, le ministre de la Culture et de la Guidance islamique annonçait ainsi que les femmes qui publieraient, via Instagram, des photos sur lesquelles elles seraient « mal » ou non voilées seraient punies par la loi. En septembre 2022, alors que d’importantes manifestations secouaient le pays après la mort de Mahsa Amini, Téhéran a durci sa censure d’Internet en bloquant notamment Instagram et WhatsApp. Pour contourner ces restrictions, de nombreux Iraniens se procurent alors des « réseaux virtuels privés » (VPN) qui leur permettent d’accéder à ces plateformes de façon détournée. Le simple fait de participer à des discussions en ligne sur des interfaces peut aussi être un prétexte pour une arrestation. Aussi, la plupart des internautes s’affublent d’un pseudonyme, afin de ne pas être identifiés.

Mais le régime ne se contente pas d’essayer de bloquer ces réseaux. L’une de ses stratégies repose sur leur usage comme outil de propagande pour défendre la politique officielle de Téhéran, en diffusant par exemple des contenus en faveur du Hamas ou du Hezbollah… Après la double explosion de Beyrouth, en août 2020, alors que les Iraniens avaient les yeux rivés sur cette ville et que de nombreux Libanais y manifestaient contre le Hezbollah, allié du pouvoir iranien, des rumeurs se sont propagées en Iran concernant des professeurs d’un lycée de Téhéran accusés de pédophilie, et les commentaires ont afflué sur Twitter. Ces rumeurs avaient été inventées de toutes pièces afin de détourner l’attention des Iraniens de la situation au Liban. Certains agents de la cyberpolice affiliée au régime se font également passer pour des royalistes, des « pro-Reza Pahlavi », fils du chah, opposant au régime et très populaire prétendant au trône. Sous ce masque, ces agents « trollent » des publications en envoyant des messages de haine afin de saper sa légitimité. Mais ces manipulations ont une portée limitée. Et malgré le contrôle croissant de ces plateformes par le régime, les internautes iraniens rusent et contournent les restrictions comme ils le peuvent. Ces réseaux, qui constituent parfois leur seule fenêtre sur le monde, leur sont en effet trop précieux pour qu’ils les abandonnent. 

 

Conversation avec EMMA FLACARD

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