La justice sera-t-elle un obstacle pour l’ex-président républicain ?
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En cinquante ans, Trump a eu de multiples démêlés avec la justice. Et, chaque fois, il s’en est tiré avec une petite tape sur la main – une amende de dix millions de dollars dans une affaire de blanchiment dans les années 2000 ou une transaction à l’amiable après que lui et son père furent accusés de discrimination contre de potentiels locataires noirs dans les années 1970. Sa réputation de « Teflon Don » et d’invincibilité-impunité s’est encore renforcée à la suite de ses acquittements par les sénateurs républicains, inquiets des représailles, à l’issue des deux procédures d’impeachment lancées contre lui. C’est seulement après l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole pour bloquer la procédure de certification de Joe Biden, vainqueur des élections, que Trump a été condamné unanimement par tous les responsables politiques, démocrates comme républicains. Mais très vite, les élus républicains sont venus lui faire allégeance à Mar-a-Lago, sa résidence floridienne, et Trump a repris le contrôle du parti.
En janvier 2022, 53 % des Américains avaient une opinion défavorable de l’ex-président. Mais, comme un paradoxe, il a été sauvé par une succession de mises en examen
En janvier 2022, 53 % des Américains avaient pourtant une opinion défavorable de l’ex-président. Mais, comme un paradoxe, il a été sauvé par la succession de mises en examen dont il a fait l’objet depuis le début de l’année 2023, et 84 % des républicains ont aujourd’hui une opinion favorable de lui, ce qui explique ses victoires haut la main aux primaires républicaines. Non seulement les quatre mises en examen – deux fédérales, une à New York et la dernière en Géorgie – n’ont pas porté atteinte à son image, mais elles lui ont permis de monter dans les sondages et de collecter des millions de dollars de contributions électorales, dont 45,5 millions rien que pour le dernier trimestre 2023. L’on sait d’ailleurs que 50 millions ont servi à payer ses frais d’avocats, ce qui peut à terme poser problème.
Affaires à suivre
La victoire de Donald Trump est-elle donc inévitable ? À l’investiture républicaine, sans doute. Mais son image d’homme d’affaires à qui tout réussit vient d’être doublement ébranlée par deux décisions de justice au civil. Après avoir été reconnu responsable de harcèlement vis-à-vis de l’ancienne journaliste, E. Jean Carroll, il a continué ses mensonges et, à l’issue du procès en diffamation qui a suivi, il a été condamné à lui verser 83,3 millions de dollars de dommages et intérêts (compensatoires et punitifs). À cette somme non négligeable s’ajoutent 454 millions de dollars dans l’enquête pour fraude financière diligentée par la ministre de la Justice de l’État de New York. Or, pour faire appel, il lui faut bloquer les sommes dues à titre de garantie ou hypothéquer une de ses propriétés, ce qui porte atteinte à son image d’invulnérabilité. Certains de ceux qui ont cru à son image (mensongère) de self-made man à qui tout réussit vont-ils commencer à se poser des questions ? Leur héros ne serait-il qu’un escroc ?
Au pénal, les deux procès les plus importants touchent l’un à l’assaut du 6 janvier et l’autre au recel de documents, confidentiels ou non, en violation de la loi sur les archives nationales et de la loi sur l’espionnage. Mais, en raison des manœuvres dilatoires du candidat et de son équipe d’avocats, aucune date n’est encore fixée pour ces deux procès. Celui qui va commencer le 25 mars avec la sélection des jurés est le plus discutable sur le plan juridique, puisque, comparé aux graves chefs d’inculpation des deux affaires fédérales, il ne s’agit que d’une falsification comptable mineure afin de rembourser à titre d’honoraires 130 000 dollars payés par l’avocat de Trump, Michael Cohen, pour acheter le silence de l’ancienne star du porno Stormy Daniels avec qui il aurait eu une liaison durant son mariage. La légèreté relative des faits reprochés – qui apparaîtra lors des témoignages – va permettre à Trump de continuer à se poser en victime d’une chasse aux sorcières menée par les démocrates pour l’empêcher de faire campagne et d’emporter l’élection présidentielle.
L’affaire de Géorgie, elle, est sérieuse et solide. Trump et seize autres co-inculpés sont poursuivis pour avoir tenté de manipuler les résultats de l’élection en 2020 dans cet État clé. Et la procureure peut s’appuyer sur des éléments tangibles, des vidéos, des enregistrements (dont celui dans lequel Donald Trump demande au secrétaire d’État chargé des élections de lui « trouver 11 780 voix ») et le témoignage de quatre inculpés qui ont plaidé coupable et vont témoigner contre Trump. Mais parce que la procureure Fani Willis a eu une liaison avec l’un des procureurs (et aurait menti sous serment), le camp Trump tente d’obtenir sa disqualification. Et même si le procès peut finalement avoir lieu, l’effet d’optique ne sera pas favorable à l’accusation et va nuire au dossier. C’est d’autant plus regrettable qu’une condamnation étatique, à la différence d’un verdict dans les affaires fédérales, ne pourrait être effacée par une grâce au niveau fédéral.
Dans les affaires fédérales qui seront jugées à Washington D.C. et en Floride, le procès commencera au mieux vers mai ou juin, à condition que deux hypothèques soient levées : le règlement des problèmes d’accès aux documents confidentiels par la défense dans l’affaire de Floride et une décision définitive sur l’absence d’immunité de l’ancien président dans l’affaire du 6 janvier, qui doit être jugée à Washington. Ici, Trump a invoqué l’immunité absolue dont il dit jouir afin d’échapper au procès ou de le repousser après l’élection. Tout dépendait de la décision de la Cour suprême saisie par l’ex-président après qu’une juridiction de première instance puis la cour d’appel du district de Columbia l’ont débouté en jugeant qu’il ne bénéficie d’aucune immunité pour les actes commis. La Cour suprême aurait pu décider de laisser le dernier mot à la cour d’appel, d’autant qu’une fois la décision rendue Trump aurait à nouveau pu faire appel, cette fois sur le fond. Elle a décidé d’entendre l’affaire, ce qui aura lieu la semaine du 22 avril. C’est une belle victoire pour Trump et la Cour a immédiatement été accusée de faire le jeu de celui-ci. L’institution rendra sa décision fin mai au plus tôt. Le procès à Washington D.C. devrait ensuite pouvoir se tenir, mais il est maintenant peu probable qu’un verdict tombe avant la convention républicaine prévue pour le 15 juillet, voire avant l’élection.
Le dilemme de la Cour suprême
Le président de la Cour, John Roberts, et un certain nombre de juges sont conscients de la crise de légitimité de la juridiction suprême, accusée d’être partisane en raison d’une série de décisions récentes sur le droit à l’avortement, le droit de vote et la dérégulation des agences, toutes rendues à six voix (celles des conservateurs) contre trois. Il a été évoqué un « grand marchandage » entre les trois juges « progressistes » (Sotomayor, Kagan et Jackson) et les trois « institutionnalistes » (Roberts, Kavanaugh et Barrett), conservateurs mais attachés à la légitimité et à l’image de la Cour. Ce bloc statuerait contre Trump sur l’absence d’immunité, ce qui est important pour l’avenir et la sauvegarde des institutions. Et une Cour unanime (avec les trois « radicaux », Thomas, Alito et Gorsuch) jugerait que ne peut s’appliquer à Trump la section 3 du XIVe amendement selon laquelle est déclaré inéligible tout responsable public qui, en violation de son serment, a participé à une insurrection. Elle pourrait juger qu’une condition préalable doit être remplie : une condamnation ou le vote d’une loi explicative par le Congrès, ce qui lui épargnerait de se prononcer sur la question délicate de savoir si Trump lui-même a participé ou non à une insurrection.
Une non-application de cette section 3 permettrait le déroulement du processus électoral et démocratique, ce qui éviterait de jeter la moitié de la population des États-Unis dans la rue et dans la violence. Cela laisse la porte ouverte à l’apport ultérieur de précisions applicables au niveau national permettant la mise en jeu de la section 3 à l’avenir. De la même façon, conclure à l’absence d’immunité rappellerait que « personne n’est au-dessus de la loi » et donnerait la possibilité à l’appareil judiciaire de jouer son rôle et aux électeurs de se prononcer en novembre en connaissance de cause, que Donald Trump soit ou non condamné. Sauf si le procès était encore retardé. Et dans cette hypothèse et celle d’une victoire de Trump, il y aurait abandon des poursuites.
Par ces deux décisions très liées, bien que portant sur des questions distinctes, la Cour suprême est une fois de plus au cœur du jeu électoral comme elle l’a été en 2000, lorsqu’elle a de facto accordé la présidence à George W. Bush en interrompant le recompte des bulletins en Floride. Elle le sera sans doute à nouveau lors des inévitables recours si la victoire est contestée. Et si Trump est réélu et se livre aux violations de la Constitution et de la loi annoncées, ce sera pour elle le moment de vérité. Compte tenu de ses décisions récentes, il est loin d’être certain qu’il se trouverait cinq juges (donc deux conservateurs) pour protéger les institutions, la liberté de la presse, l’indépendance des poursuites et du pouvoir judiciaire.
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