Pour ou contre l’homéopathie
Quels sont les arguments des partisans de l’homéopathie ? Et pour quelles raisons certains pourfendent-ils cette discipline ? Nous avons interviewé séparément deux médecins aux avis très divergents en leur posant les mêmes questions. Charles Bentz, président du syndicat national des médecins homéopathes, et Benoît Viault, médecin urgentiste et membre du Collectif Fakemed, livrent chacun leur éclairage sur cette controverse.Temps de lecture : 15 minutes
Pour quelle raison le débat sur l’homéopathie ressurgit-il aujourd’hui ?
Charles Bentz : Vous savez, des polémiques sur l’homéopathie, cela fait deux cents ans qu’il y en a. Dès l’origine ou presque, il y a eu de fortes contestations dans plusieurs pays européens. Au début du XIXe siècle, il y avait déjà eu un débat en France entre l’Académie de médecine et les tenants de l’homéopathie. Mais à l’époque, il y avait un ministre de l’Instruction publique compétent, M. François Guizot, qui avait pris une position relativement sage en déclarant que si l’homéopathie était une chimère, elle disparaîtrait d’elle-même et que, si ce n’était pas le cas, elle perdurerait.
Nous avons été surpris par la tribune des 124 signataires de la pétition du collectif Fakemed qui s’insurgeait contre la pratique de l’homéopathie et du remboursement de cette thérapeutique. D’autres thérapies naturelles étaient visées, mais le débat s’est cristallisé sur l’homéopathie.
Benoît Viault : Il n’y a pas eu un fait déclencheur unique. Au fil du temps, des médecins constataient que des patients qu’ils recevaient avaient fait l’objet d’erreurs de diagnostic ou d’erreurs thérapeutiques en lien avec l’homéopathie et avec d’autres médecines alternatives. Nous en parlions entre nous, puis le débat a eu lieu sur Twitter. À partir de ce moment-là, l’un des médecins a été contacté par Le Figaro pour écrire une tribune. Ce texte, signé au départ par 124 professionnels de la santé, a été rédigé de façon collaborative. Tout le débat sur l’homéopathie et le déremboursement est parti de cette tribune de mars 2018.
Comment expliquez-vous que ce débat ait lieu entre médecins sous la forme d’une violente querelle ?
Charles Bentz : On ne sait pas trop quelle est l’origine de cette poussée de fièvre. Les signataires de la pétition des 124 médecins ou professionnels de la santé sont pour l’essentiel de jeunes médecins qui sortent de la faculté. Ils sont pétris de certitudes et pensent que la médecine, c’est une fois pour toutes une vérité et que cette vérité ne bougera jamais. À l’inverse, avec quarante ans d’exercice de la médecine derrière moi, je peux vous certifier qu’il y a beaucoup de choses que j’avais apprises à la faculté de médecine qui ne sont plus vraies aujourd’hui. Ensuite, les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène.
Benoît Viault : Nous avons tous le même diplôme, mais la médecine fondée sur des preuves (evidence-based medicine) prend, me semble-t-il, de plus en plus d’importance au sein de la profession. Elle s’est imposée comme une référence. Or, clairement, l’homéopathie ne peut faire état d’aucune étude qui montre son efficacité. À partir de là, il nous semble aberrant que cela reste une thérapeutique remboursée alors que plein d’autres prises en charge, qui elles sont validées scientifiquement – on peut citer la psychomotricité, les consultations de diététique pour des patients diabétiques, par exemple, ou encore les consultations en psychologie –, ne sont pas remboursées et restent à la charge des patients. Voilà ce qui nous semble aberrant : continuer à rembourser des médicaments dont on sait qu’ils ne possèdent aucune efficacité au-delà d’un effet placebo alors que d’autres soins sont nécessaires.
Il ne s’agit pas d’une querelle entre les anciens et les jeunes, mais entre deux visions antagonistes de la médecine.
Quel est votre principal argument contre ou en faveur de la médecine homéopathique ?
Charles Bentz : C’est une thérapeutique efficace. On le constate tous les jours ! Les médecins qui prescrivent des médicaments homéopathiques l’observent – pas seulement les médecins homéopathes, mais des chirurgiens, des oncologues qui l’utilisent en soins de support, des sages-femmes… Tous ces professionnels constatent les effets bénéfiques de l’homéopathie. Cette médecine est efficace, et j’ajouterai qu’elle ne provoque pas d’effets secondaires, ce qui est fondamental. Les adversaires de l’homéopathie se fondent sur des rapports biaisés qui évaluent cette discipline en fonction de critères qui ne sont pas les siens. L’homéopathie repose sur une conception totalement différente de celle de la médecine conventionnelle classique.
Benoît Viault : Notre argument contre l’homéopathie est de nature scientifique : l’homéopathie dispose-t-elle d’études en double aveugle, menées selon tous les critères scientifiques, sans conflit d’intérêts, qui prouvent que cette discipline a une efficacité ? Pour l’instant, la réponse est non. Les études qu’on nous montre ne sont pas probantes, comparent des groupes de population différents. Le fait que 60 ou 80 % des Français aient déjà eu recours à l’homéopathie, par exemple, n’est pas un argument scientifique. C’est un argument émotionnel !
L’homéopathie fonctionne comme un placebo. Si je donne à un patient une gélule qui ne contient absolument rien, j’obtiendrai des effets. Tout cela est connu. On sait que l’effet placebo, l’effet contextuel, est efficace. La question est de savoir si l’homéopathie a des effets propres plus importants que cet effet placebo. La réponse est négative. Encore une fois, le but n’est absolument pas d’interdire la pratique de l’homéopathie, mais de la séparer de l’exercice de la médecine. Si des patients se sentent mieux en allant voir un homéopathe et en prenant des granules de sucre ou en soignant leur neurasthénie en mangeant du chocolat parce que cela leur fait du bien, cela ne me pose aucun problème.
La pétition du collectif Fakemed traite les médecins qui recourent à l’homéopathie de charlatans et demande, outre le déremboursement de ces produits, que ceux qui les prescrivent soient radiés de l’Ordre des médecins…
Charles Bentz : C’est la raison qui nous a conduits à porter plainte contre les signataires, enfin ceux qui ont eu le courage de s’identifier, car une bonne moitié d’entre eux se sont abrités derrière des pseudos. Le texte est d’une grande violence. Une étude toute récente montre qu’il y a 50 % des médecins qui prescrivent régulièrement des médicaments homéopathiques. Cela revient à dire que 50 % des médecins sont des charlatans…
Benoît Viault : Les termes choisis sont ceux du Code de déontologie médicale. Le charlatanisme est décrit dans le Code, la tromperie également. Nous ne demandons pas la radiation de nos confrères. Nous demandons simplement que leur activité d’homéopathes soit séparée de leur activité médicale. Il n’y a pas de raison que la consultation d’un médecin généraliste pratiquant l’homéopathie soit remboursée alors que ce qu’il pratique ne rentre pas dans le cadre de l’exercice de la médecine. S’il souhaite pratiquer l’homéopathie exclusive, pourquoi pas, mais pas dans un cadre médical. Il ne faut pas de confusion. Le fait d’être médecin implique un certain nombre de responsabilités.
Que répondez-vous à ceux qui disent que l’homéopathie produit un effet placebo et n’entraîne aucun effet secondaire, contrairement à la pharmacopée habituelle.
Charles Bentz : L’effet placebo existe quel que soit l’acte thérapeutique et, dans le cas de l’homéopathie, ni plus ni moins qu’avec aucun autre traitement. Parfois, lorsqu’une première prescription s’est révélée inefficace, il arrive qu’on réexamine le cas et que l’on aboutisse à une seconde prescription efficace. Si c’est le résultat d’un effet placebo, pourquoi donc celui-ci n’aurait-il pas eu lieu dans la première situation ? Et que dire de l’efficacité remarquable des traitements homéopathiques chez les nourrissons, les animaux et même sur des élevages entiers ? Je pense à ses patients qui nous disent : « Docteur, je ne croyais pas à vos granules, mais je constate que c’est efficace », etc., etc.
Le médicament homéopathique stimule l’organisme dans le sens de la guérison, alors que les médicaments chimiques s’opposent à une maladie et présentent une marge très étroite entre l’effet thérapeutique et l’effet toxique. En homéopathie, un médicament est efficace ou non, mais jamais toxique.
Benoît Viault : Effectivement, on ne peut pas parler d’effets secondaires puisque, physiquement parlant, il n’y a absolument rien dans les granules d’homéopathie. Il n’y a pas de mémoire de l’eau, le principe a été infirmé un certain nombre de fois. En revanche, l’homéopathie entraîne des retards de diagnostic. Des études montrent que les patients atteints de cancer ont une survie moindre, puisqu’ils tardent à être bien diagnostiqués. Ce n’est pas un effet direct de l’homéopathie, mais cela reste une mise en danger.
Entre le déremboursement et la suppression de l’enseignement dans les universités demandés par la pétition, qu’est-ce qui vous semble le plus important ?
Charles Bentz : Les deux choses se tiennent. Le remboursement est une garantie pour la sécurité des patients. Ces derniers doivent passer par la « case médecin » pour que celui-ci, au cours de sa consultation, évalue si l’homéopathie est indiquée ou non dans son cas précis. Le déremboursement peut conduire ces personnes à consulter des non-médecins et, du coup, à ne pas bénéficier d’un bon diagnostic. Bref, vous vous privez de ce moment important où le médecin qui pratique l’homéopathie signale à son patient qu’il lui faut pour une fois recourir à la médecine conventionnelle. Seul un médecin peut le diagnostiquer. Un naturopathe, un magnétiseur, non. C’est le premier élément, sachant que les médicaments sont remboursés à hauteur de 30 % en France avec une exception en Alsace-Moselle où le remboursement s’élève à 90 %. Et l’Assurance maladie en Alsace-Moselle est excédentaire, contrairement à l’Assurance maladie nationale. CQFD !
Mais pour avoir des médecins compétents, il faut un enseignement de qualité. Seul un enseignement universitaire peut le garantir en informant tous les jeunes externes de ce qu’est l’homéopathie et en permettant à ceux qui veulent acquérir les connaissances nécessaires pour l’exercer de recevoir une formation de qualité. L’année dernière, le doyen de la faculté de médecine de Lille a suspendu sans aucune concertation cet enseignement, mais d’autres universités l’ont maintenu, comme à Strasbourg. Et les universités de Lyon, de Reims et de Brest viennent de s’associer pour mettre en place un nouveau diplôme interuniversitaire de thérapeutique homéopathique. Vous avez aussi des écoles privées qui dispensent un très bon enseignement.
Benoît Viault : C’est un ensemble. L’université est là pour former des médecins à une médecine dont on connaît l’efficacité. Notre objectif n’est pas de proposer aux patients des trucs et des machins, mais des médicaments efficaces. C’est la même chose pour le déremboursement. La solidarité nationale doit rembourser des médicaments et des prises en charge efficaces pour la santé des patients. À partir du moment où l’homéopathie est déremboursée, il sera acté qu’elle n’a pas sa place en médecine et donc dans les universités de médecine.
Une pluralité de médecines ou une médecine unique, n’est-ce pas le choix qui nous est proposé ?
Charles Bentz : On veut nous amener à une standardisation de la prise en charge thérapeutique des patients. Pour nous, la médecine est une mais avec plusieurs abords thérapeutiques. Je suis le premier à dire que la médecine classique a fait d’énormes progrès dans beaucoup de domaines depuis que j’ai fait mes études. Mais nous allons aussi vers de grands problèmes comme l’antibiorésistance. Nous savons que d’ici une dizaine d’années, il y aura plus de morts liés à l’antibiorésistance qu’aux cancers. Abuser des antibiotiques parce que nous n’avons pas d’alternative thérapeutique est très préjudiciable. Or je constate qu’un médecin qui pratique l’homéopathie utilise beaucoup moins d’antibiotiques que ses confrères, alors qu’il est confronté aux mêmes malades.
Benoît Viault : Encore une fois, si les patients ont telle ou telle croyance, je ne peux en rien m’y opposer. S’ils croient aux forces de la nature et préfèrent aller voir un druide, cela ne me dérange pas. Simplement, on a une médecine scientifique d’un côté – dont on sait et dont on prouve qu’elle est efficace et qu’elle peut se remettre en question – et des pratiques alternatives qui ne doivent pas être des composantes de la médecine.
Considérez-vous que le coût financier, modeste, de l’homéopathie mérite un tel débat ?
Charles Bentz : C’est en tout cas un coût très limité. De mémoire, le remboursement des médicaments représente environ 125 millions d’euros, soit 0,7 % des remboursements de médicaments et préparations versés par la Sécurité sociale. Au terme d’une étude, des économistes ont indiqué que si l’homéopathie était déremboursée et que 10 à 20 % des patients se reportaient sur des médicaments remboursés, le gain serait nul. En réalité, c’est un transfert qui risque fort d’être plus coûteux en raison du prix plus élevé de la pharmacopée classique, sans parler des effets secondaires éventuellement induits par ces médicaments.
Benoît Viault : Même moins de 1 %, sur un tel budget, cela représente des sommes importantes. Cela permettrait de rembourser des prises en charge qui, elles, seraient adaptées. Au-delà de cette somme, il y a toutes ces consultations qui sont aussi remboursées et des consultations hospitalières également. Toutes ces dépenses pourraient être mieux orientées.
La situation vous semble-t-elle identique dans les autres pays ?
Charles Bentz : Oui. Même en Allemagne où l’homéopathie est très utilisée, il y a ce débat entre les scientistes purs et durs et les médecins qui utilisent l’homéopathie. Mais cela n’a pas les mêmes conséquences dans la mesure où le système assurantiel n’est pas le même – les médicaments ne sont pas remboursés par l’assurance obligatoire, mais par des caisses privées. Le débat en Suisse a eu lieu. Des études ont été menées durant deux ou trois ans avec des conclusions positives en faveur de l’homéopathie et des médecines alternatives. De ce fait, ces thérapeutiques sont reconnues officiellement et prises en charge au même titre que les thérapeutiques conventionnelles. En Grande-Bretagne, notre discipline n’est pas remboursée. Elle a aussi essuyé de graves critiques. En Italie, il n’y a jamais eu de remboursement des médicaments homéopathiques. Dans aucun de ces pays, en tout cas, la consultation homéopathique n’a été remise en question.
Pour moi, on ne devrait jamais opposer une thérapeutique à une autre. Toutes peuvent être utiles à un moment donné pour un patient donné. Il faudrait jouer la complémentarité, comme je le fais tous les jours en prescrivant aussi des médicaments conventionnels. Vous savez, j’en suis à présent à soigner la quatrième génération des mêmes familles dont je suis le médecin traitant. Il y a une fidélité de ces patients et donc une satisfaction.
Benoît Viault : Nous sommes plutôt en retard. La sécurité sociale au Royaume-Uni, le NHS, a acté le déremboursement de l’homéopathie il y a maintenant deux ou trois ans. L’Espagne de même. En Allemagne, l’homéopathie est très pratiquée, mais je ne pense pas qu’elle soit remboursée. En Australie, c’est la même chose et aux États-Unis, la mention « Aucune efficacité clinique » figure obligatoirement sur les tubes de gélules homéopathiques. Bref, un grand nombre de pays sont plus en avance que nous.
Je regrette qu’on ne se place pas sur un débat scientifique. Ce qu’on entend, c’est que les patients aiment bien ça, que les médecins qui pratiquent l’homéopathie ont le même diplôme que nous, que Boiron va devoir licencier 1 000 personnes. Oui, mais où sont les arguments scientifiques ? Comment voit-on la médecine, comme quelque chose de sérieux ou comme un domaine où chacun peut cuisiner à sa manière ? C’est le cœur du débat. Nous aimerions en discuter avec nos confrères homéopathes, mais nous attendons toujours.
Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER
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