On l’avait oublié, mais les guerres entre les États modernes peuvent être longues. La puissance des armées actuelles est telle que leur affrontement aboutit normalement à la domination de l’une sur l’autre en quelques semaines au maximum ; mais lorsque les forces sont équilibrées, que le défenseur se retranche et qu’une ligne fortifiée se met en place, les choses prennent alors toujours beaucoup plus de temps. Dans leur forme, les combats en Ukraine ressemblent à ceux de la Seconde Guerre mondiale, sommet de la guerre industrielle. Téléportés de la Grande Guerre patriotique (1941-1945) pour commander les armées russe et ukrainienne, les maréchaux Joukov et Malinovski seraient rapidement à leur aise pour diriger les manœuvres. En revanche, ils seraient très surpris par l’environnement industriel de ces armées.

On ne conçoit plus, comme à l’époque, des chars ou des avions de combat en un ou deux ans, mais en dix ou vingt ; et on ne les produit plus par centaines par mois, mais parfois à l’unité. Les innovations techniques passent par l’invention d’objets plus rapides à développer, comme des drones, ou le bricolage. L’alimentation matérielle des combats se fait ainsi depuis le début de la guerre à 90 % en puisant dans les stocks et non par une production qui reste artisanale. Avec l’épuisement de ces stocks, et particulièrement des munitions d’artillerie, la possibilité de surmonter le blocage du front s’est encore réduite, car sans des masses d’obus pour neutraliser les défenses avant de les prendre d’assaut, il n’y a pas de percée possible. De fait, depuis la conquête de la tête de pont de Kherson mi-novembre 2022, la ligne de front ne bouge plus que de manière marginale à coups de quelques dizaines de kilomètres carrés difficilement conquis. Il est probable qu’il en sera de même jusqu’à ce qu’un des deux adversaires accumule suffisamment de ressources pour organiser à nouveau de grandes opérations offensives, sans doute pas avant 2025.

La stratégie russe est simple : presser et attendre

Quand le front est bloqué, on s’intéresse plus à l’arrière. On perçoit bien que la société russe est vulnérable, sinon Vladimir Poutine aurait lancé une mobilisation générale des forces et une nationalisation de l’économie. À l’exception des mobilisés de l’automne 2022, ce que l’on se refuse encore à nommer « guerre » est toujours fait sur le terrain par des volontaires recrutés dans une Russie périphérique du point de vue ethnique ou social. De la même façon, l’effort économique de guerre ne représente encore que 6 % du PIB, ce qui est en réalité très faible pour un pays qui mène un conflit militaire. La Russie fait la guerre « à l’économie », et Vladimir Poutine préfère jouer sur l’endurance plutôt que de se lancer dans un sprint qui pourrait provoquer une crise cardiaque politique. En dehors de quelques actions d’éclat ukrainiennes et des sanctions économiques, il n’y a cependant guère de moyens de modifier cette politique, d’autant plus que les pays occidentaux ne souhaitent pas non plus une crise cardiaque russe.

De ce côté, l’alliance est à deux vitesses, avec une Ukraine « en sprint », mais de ce fait plus proche de l’épuisement que la Russie, et des Occidentaux qui semblent au contraire manquer de souffle. Dans ces conditions, la stratégie russe est simple : presser et attendre. Des Ukrainiens écrasés, des Américains versatiles ou des Européens divisés, quelqu’un finira par céder, et la guerre sera gagnée. La stratégie ukrainienne consiste de son côté à résister et à espérer. Tous les regards se portent désormais sur l’évolution de la donne politique aux États-Unis et en Europe en 2024, année où les élections seront autant de crash-tests de leur détermination à rester dans l’histoire. 

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