Certains étés de mon enfance, à Bourges, un vent chaud desséchait l’air et déposait sur les meubles du jardin une fine pellicule de poussière. Ma grand-mère y passait le doigt et, en me montrant sur sa pulpe de petits grains beiges, me disait : « Regarde, c’est du sable du Sahara. »

Le catéchisme chrétien m’enseignait que nous sommes poussière et que nous redeviendrions poussière. Ainsi, dans mes rêves, le Sahara nous envoyait, portée par le vent, la dépouille pulvérulente d’êtres disparus qui, après leur mort, avaient rejoint ses mystérieuses étendues minérales. D’ailleurs, dans les récits de voyageurs, j’avais lu que le Sahara était un enfer où nul ne pouvait survivre…

C’est à peu près à la même époque que la vocation de mort du Sahara s’est révélée pour moi dans une autre actualité : la France menait alors des essais nucléaires aériens à Reggane. Le général de Gaulle, en tenue de protection atomique, y suivait à la jumelle la progression des opérations. S’associaient ainsi pour moi les témoignages cataclysmiques d’Hiroshima avec les immensités sans vie que décrivait l’écrivain Joseph Peyré dans L’Escadron blanc.

Faute d’avoir le moindre lien familial avec le monde colonial, je rangeai longtemps le Sahara parmi les contrées mythiques et inaccessibles : l’Atlantide, l’Olympe, l’enfer de Dante. Et si je rêvais, enfant, de voyage, jamais je n’eus l’audace d’imaginer qu’en les accomplissant, je pourrais un jour fouler le sol du désert.

Le hasard voulut pourtant que le Sahara fût le terrain de mon premier déplacement lointain.

La chose arriva d’une manière banale, à travers un ami. Je fis la connaissance, par l’intermédiaire d’une de mes congénères étudiante en médecine, d’un garçon un peu plus âgé, professeur de mathématiques à l’époque et qui devait plus tard devenir à son tour médecin. Antoine, fils d’immigrés polonais, avait, pour payer ses études, développé un savoir-faire impressionnant de mécanicien amateur. Il avait organisé plusieurs convois vers l’Afrique noire, à seule fin d’y vendre des voitures d’occasion. Ces véhicules, des Peugeot pour la plupart, étaient achetés à bas prix en France au terme d’une carrière déjà longue (en général de taxi). Sitôt parvenus en Afrique, ils prenaient une valeur considérable et entamaient courageusement une nouvelle vie, soit en roulant, soit en servant de pièces détachées. Dans ce dernier cas, on pouvait presque parler d’immortalité.

La difficulté de l’opération était de faire traverser le Sahara à ces guimbardes à bout de souffle. Les talents de mécanicien d’Antoine étaient nécessaires, mais pas toujours suffisants. Il fallait aussi, pour mener l’affaire jusqu’à son terme, une troupe docile et néanmoins courageuse de chauffeurs, ainsi que de simples équipiers. Leur rôle principal consistait à creuser dans le sable chaque fois qu’un véhicule s’y trouvait enfoncé.

Le Sahara n’était en rien un but dans ces voyages et nul n’aurait pensé les appeler des expéditions. Le désert était tout au plus un obstacle fâcheux dressé par la nature pour compliquer la vie des commerçants mais aussi donner du prix à leurs efforts.

J’étais si ignorant et si naïf qu’en rejoignant mes compagnons de route à la Porte d’Orléans et en prenant le volant d’une regrettée 404, je n’imaginai pas un instant qu’au débouché de la vallée du Rhône et après avoir traversé la Méditerranée, la végétation se clairsemerait, la présence humaine se raréfierait, l’air s’assécherait. Ni que bientôt nous entrerions à notre tour dans le séjou

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