[…] La brume, c’est quand le ciel est las de voler
et qu’il pose au sol sa machine molle :
le monde alors devient flou et paperasseux
comme des gravures sous du papier de soie.
La pluie, c’est quand la terre devient de la télévision.
Elle a la propriété d’assombrir les couleurs.
Model T est une pièce dont la serrure se trouve à l’intérieur :
on tourne une clé pour laisser le monde libre de se déplacer,
si rapidement qu’il y a un film à suivre
pour ne rien manquer.
Le temps est attaché au poignet
ou conservé dans une petite boîte, et il tique d’impatience.
Dans les maisons sommeille un appareil hanté
qui ronfle quand on le décroche.
Si le fantôme crie, ils l’approchent 
de leurs lèvres et le calment avec des sons
et il se rendort. Mais ensuite ils le réveillent délibérément
en le chatouillant d’un doigt...
Seuls les petits ont le droit d’être ouvertement malheureux.
Les adultes, eux, vont dans un cabinet de punition
où il y a de l’eau courante mais rien à manger.
Ils en ferment la porte à clé et supportent les bruits
tout seuls. Nul n’en est exempt 
et la tristesse de chacun a une odeur différente.
Au soir, quand meurent toutes les couleurs,
ils se cachent par paires
et lisent des choses sur eux-mêmes –
en couleurs, paupières closes.

 Traduction de Michel Remy. Anthologie bilingue de la poésie anglaise, « Bibliothèque de la Pléiade » © Craig Raine © Éditions Gallimard, 2005.

 

Un Martien sur la planète bleue, c’est comme un Persan à Paris. Sauf que Craig Raine est anglais, et que sa fantaisie pince-sans-rire a une portée métaphysique autre que les lettres satiriques de Montesquieu. Plonger dans l’inconnu, d’accord, mais au téléphone ou en Ford T.  

 

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