La fermeture des frontières aura placé nombre d’Européens dans une position qui leur était jusque-là inconnue : celle d’indésirables. Interdits de séjour aux États-Unis, expulsés de Tunisie ou de Mauritanie, personae non gratae en Chine, placés en quarantaine en Australie, les Européens sont aussi empêchés de circuler en Europe. Jamais ils ne s’étaient vu imposer de telles restrictions, eux dont le passeport est un sésame envié. En fait, les mêmes restrictions que celles qu’ils imposent depuis des décennies à ceux qui n’ont pas eu la chance de naître sur la rive nord de la Méditerranée, et plus généralement dans un pays riche.

Si les Européens sont devenus les nouveaux parias d’un ordre migratoire bouleversé par une crise sanitaire globale, c’est simplement parce qu’ils étaient accusés de répandre avec eux le virus… Y compris dans leur pays. Ainsi, le million de Franciliens qui ont fui la capitale pour trouver refuge à la campagne ont été traités en ennemis par les « natifs ». Ils se voient reprocher les mêmes tares que celles dont sont régulièrement affligés les migrants : d’importer bactéries, virus et maladies, et de faire peser une charge insupportable sur nos systèmes de santé. Qu’importe si les études de santé publique montrent que les migrants tombent généralement malades une fois arrivés du fait des conditions de vie précaires qui leur sont imposées.

En l’occurrence, ceux qui ont propagé le virus sont ceux qui sont partout chez eux : les hommes d’affaires, les supporters de match de football, les étudiants en échange universitaire et les touristes. Ce sont ces classes privilégiées de migrants qui franchissent les frontières sans encombre. Leur mobilité est, d’habitude, fluide, facile et même valorisée comme un élément crucial de leur capital cosmopolite sur le marché du travail.

Quant aux « autres » migrants, les pauvres, les vulnérables, ils ont été soit complètement oubliés dans l’affaire, soit criminalisés et punis pour un mal dont ils vont être, comme d’autres personnes fragiles, les premières victimes. Les demandeurs d’asile sont entassés dans des camps qui ont été mis en quarantaine. Les bénévoles sont exclus de ces lieux qui se transforment en site d’incarcération massive. Dans les Balkans, les camps de Roms sont eux aussi mis en quarantaine d’office, dans des conditions sanitaires parfois très dégradées. Rien à voir avec les quarantaines passées à l’hôtel pour les « autres » voyageurs, rien à voir non plus avec l’aide financière et logistique dont ont bénéficié les expatriés et les touristes pour rentrer au pays. Pour les plus faibles, les procédures d’asile sont soit suspendues, soit retardées, et les expulsions se multiplient. La violence aux frontières acquiert des formes inconnues jusque-là.

Même si les citoyens du monde ont pu goûter de manière fugace à certaines des frustrations des saisonniers, des réfugiés, des migrants venus du « Sud », ils n’ont pas fini dans des camps. Ils se sont vite retrouvés confinés confortablement et protégés au sein de systèmes de santé certes sous tension, mais efficaces. La façon dont nous gérons la crise sanitaire quant à elle reproduit et aggrave encore et toujours les inégalités entre les plus fortunés et les plus vulnérables. Si le virus est aveugle aux classes sociales et à l’origine géographique et se propage sans souci des frontières nationales, notre gestion de la crise sanitaire amplifie bien des inégalités. 

 

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