« Il est urgent de réconcilier les France »
EntretienTemps de lecture : 24 minutes
À quelle condition serez-vous candidat à l’élection présidentielle ?
Je ne vois pas de condition extérieure à ma candidature. Quand on croit à la révolution du système, on ne lui paie pas son tribut. C’est la lucidité. Je crois dans la transformation du pays et dans les idées de progrès. Je crois en la capacité à convaincre sur le discours d’explication et de pédagogie. En notre capacité de faire advenir cette nouvelle offre politique dans toutes ses composantes. Car mon seul objectif est de refonder l’offre politique autour du progressisme et donc d’un projet cohérent, clair et exigeant et de tout faire pour que ce projet l’emporte et puisse refonder la France.
À votre départ de Bercy, vous avez insisté sur les graves blocages de la société française. Quels sont-ils ?
Les principaux blocages de notre société viennent des corporatismes, des corps intermédiaires et du système politique. Pour autant, je ne suis pas l’ennemi des corps intermédiaires. Ils sont nécessaires pour structurer la société. Les critiquer m’a valu l’accusation d’être populiste comme Marine Le Pen.
Si parler au peuple ou dire que les corps intermédiaires ne jouent plus leur rôle c’est être populiste, alors je veux bien être populiste ! Les corps intermédiaires doivent être réinterrogés dans leur fonction. Ils ont un rôle à jouer dans la structuration de notre démocratie. De ce point de vue, les maires et les associations ont un rôle clé car ils ont une légitimité d’action.
Pouvez-vous préciser quels sont ces corporatismes que vous évoquez ?
Ce sont des morceaux de la société qui se sont organisés pour défendre leurs intérêts. On est revenu avant la loi Le Chapelier. Des professions ont créé des barrières à l’accès des plus jeunes. L’élite politique, administrative et économique a développé un corporatisme de classe. Comme l’avait vu Bourdieu, elle l’a ordonnancé par des concours, des modes d’accès, des connivences qu’elle a en son sein et qui empêchent l’accès aux plus hautes responsabilités. Notre société n’est pas la plus inégalitaire, mais elle est l’une des plus immobiles. L’absence de mobilité sociale nourrit la défiance, un sentiment que le corporatisme bloque tout, et crée du désespoir en bloquant les perspectives individuelles et en brisant le rêve d’émancipation qui est une respiration formidable dans la société.
Vous n’épargnez ni les syndicats ni les partis…
Certains syndicats sont en train de se réinventer en appréhendant les changements en cours et le nouveau rôle qu’ils doivent assumer. Mais, dans la plupart des cas, syndicats et partis défendent les intérêts de ceux qui sont dans le système. Par ces corporatismes, nous avons recréé de l’immobilité sociale, de la défiance démocratique et de l’inefficacité d’action. Un de nos défis est de passer d’une société de statuts à une société de la mobilité et de la reconnaissance, où chacun occupe une place différente – je suis contre l’égalitarisme qui est une promesse intenable –, où chacun doit être reconnu pour son rôle singulier et sa valeur, qui n’est pas forcément monétaire.
Le cœur de la politique doit être l’accès. L’accès à la mobilité, notamment. La mobilité physique est loin d’être anecdotique. C’est de la politique. Avec les nouvelles lignes de cars, on est passé de 110 000 usagers à 4 millions par an. Cette réforme symbolique a cassé une des barrières entre les insiders et les outsiders. La banlieue, quand on n’a pas de voiture, c’est très loin de Paris. Passer le permis coûte cher, prend du temps. Quand l’accès à la voiture est impossible, cela signifie que l’est aussi l’accès au travail, aux loisirs, à une certaine vie sociale ou amoureuse. Il est décisif de désenclaver des pans entiers de notre territoire.
Je pense également à l’accès à la culture, au savoir par l’école. Notre système scolaire reste celui qui, parmi les pays développés, assigne le plus d’individus à leur condition sociale d’origine. L’accès au savoir est encore très injuste, comme l’est l’accès à la réussite professionnelle. Toutes les politiques d’accès, donc de libération, sont des politiques de justice sociale.
Pour bousculer le système, que faut-il combattre ?
Le fatalisme et la défiance. Le fatalisme, c’est penser qu’il n’existe pas d’alternative dans le système politique, seulement des alternances. Notre système politique, nous avons décidé qu’il était confisqué par des appareils qui décident pour nous, qui font le filtre, d’où mon scepticisme pour les primaires. Ce fatalisme est terrible car il nourrit la désaffection vis-à-vis du politique, le scepticisme et l’entre-soi. Il conduit à faire des carrières longues, à avoir un rapport patrimonial à la vie politique. Et à accepter à certaines périodes, comme le fait à tort une partie de la gauche française, la défaite élégante pour préserver l’appareil politique, et ensuite revenir. C’est inacceptable pour qui aime son pays et les idées.
Quant à la défiance, le plus grand tabou est de ne pas nommer, de ne pas expliquer. Je l’ai vécu quand j’ai parlé d’« illettrisme », ou encore de l’argent et de l’enrichissement pendant la vie. Cette notion d’enrichissement est un tabou français, un traumatisme lié à notre histoire. Dans notre pays, on pense régler le mal en ne le nommant pas ou en le contournant sur le plan langagier. Je suis très camusien. Je pense qu’on ajoute à la misère du monde en nommant mal les choses. Il faut le soleil blanc de L’Étranger pour les éclairer, voire les révéler dans leur brutalité. Il faut dire nos échecs et nommer nos tabous.
Ce qui a disparu du champ politique, c’est l’explication. On est entré dans une société de l’action et de la réaction. On pense qu’il faut une réaction instrumentale pour réagir aux événements : un décret, une loi, une modification de la constitution… La politique, c’est de l’agir mais aussi du dire. Si on ne déplie pas les problèmes, l’action ne porte pas. Elle a un son mat, elle ne vibre pas dans le corps social, elle manque de portance. Le rôle du politique, c’est d’expliquer, de porter une idéologie au sens noble du terme, une vision commune du pays, des valeurs. Il y a un décalogue républicain à rebâtir, un socle de ces valeurs qui ne sont pas qu’une série de rites ou de petits actes. Je veux tenir cette discipline et je la tiendrai : quand on refuse le simplisme sur la question des 35 heures ou de l’ISF, quand on ne participe pas à un débat à mon sens réducteur, on nous reproche de ne pas faire de politique mais d’esquiver. Non ! Ces sujets sont-ils le cœur du problème de notre pays ? Pas du tout ! Ils doivent s’inscrire dans une approche plus large. Nous devons avoir une vision cohérente et organique de nombre de ces problèmes.
Quel est alors, selon vous, le cœur du problème français ?
C’est le rapport au travail, à l’argent, à l’innovation, à la mondialisation, à l’Europe, aux inégalités. Ce sont les nœuds gordiens du pays. Prenons le travail : le camp du progrès – la gauche – s’est construit pour protéger l’individu au travail, surtout quand il était pénible. Mais le chômage de masse nous fait vivre une expérience inédite, où l’éloignement du travail est une réduction de l’être social. Le camp du progrès doit donc être celui du travail, qui est la seule voie de l’émancipation. Il faut inventer les formes, les souplesses, pour que chacun puisse trouver sa place dans le système. Il faut retrouver le sens de la valeur du travail et de l’engagement.
Le rapport aux inégalités est aussi un tabou français. Face à un capitalisme industriel structuré, le camp du progrès s’est construit contre les inégalités en voulant rétablir, par la fiscalité et des mesures correctives, une plus grande égalité. Dans un monde ouvert, dans une économie d’innovation aux cycles courts, il est impossible de procéder ainsi. Sinon les talents partent. C’est une égalité des opportunités et des accès qu’il faut rétablir, qui permet à chacun de se battre dans cet environnement, de protéger les plus faibles et les perdants sans empêcher quiconque de réussir.
En quoi notre rapport à l’innovation est-il problématique ?
Nous sommes dans un pays qui défend trop la rente de situation au détriment de la rente d’innovation. Nous courons donc le risque d’être une nation de simples héritiers plus qu’un pays où coule la sève féconde des innovateurs. Cette attitude est potentiellement éliminatoire dans le monde d’aujourd’hui. L’inventivité de notre pays, son rapport à l’innovation et à la créativité doivent être convertis économiquement. Relever ce défi suppose de lever quelques tabous, notamment dans le rapport à l’argent. La capacité à accumuler de la rente d’innovation, à s’enrichir pour ceux qui apportent beaucoup, doit être acceptée. La rente de situation, elle, n’est pas acceptable.
Quel élan faut-il insuffler à notre pays ?
La France doit réussir dans la grande transformation du monde en cours, tout en restant fidèle à ce qu’elle est. Il faut retrouver le fil du roman français. Je crois au roman national. Je veux pouvoir expliquer dans les prochaines semaines ce que nous sommes, ce qu’est le pays, refonder notre armature économique, sociale et politique, réinvoquer un discours culturel et intellectuel que l’on a perdu. Je ne crois pas qu’il faille adapter la France au monde. Il faut transformer la France pour qu’elle soit plus forte dans un monde qui bouge, car sa vocation est universaliste. Ne pas suivre le cours du monde, mais être en mesure de le changer si nous sommes suffisamment forts. Le poids militaire et diplomatique qui est le nôtre n’existe pas sans réussite politique.
À quoi tiendrait cette réussite ?
Il est urgent de réconcilier les France : la France souffre d’avoir divisé son histoire et ses populations. Elle s’est séparée. Les gagnants et les perdants de la mondialisation représentent deux France qui s’écartent et ne se parlent plus. L’élite économique considère qu’elle a peu à dire à la France des périphéries, à ceux qui vivent dans l’anxiété. C’est une faute et une erreur car notre histoire n’est pas dans la séparation. Je crois à la responsabilité morale des élites si on veut reconstruire le rêve français. Au lieu de cela, on voit aussi une France qui se replie dans le fait religieux et identitaire, et la France inquiète des classes moyennes françaises qui se replie dans l’insécurité culturelle.
Pensez-vous qu’on assiste à une montée du fait religieux ?
Le besoin d’absolu qu’ont les hommes traduit une crise de l’anthropologie politique moderne. Les individus en société ont un besoin de spiritualité, de transcendance. Il est normal que les religions prennent cette place. Pour autant, je ne crois pas à la religion républicaine. L’État et la sphère politique ne doivent pas chercher à se substituer au religieux.
Je pense néanmoins que le rôle de l’État est de mettre les religions à la bonne place. Non pas de les neutraliser ou de les appeler à la discrétion, ce qui est intolérable, car c’est l’État qui est laïc, non la société. Mais la puissance publique doit intervenir pour permettre trois choses. D’abord, elle doit garantir l’autonomie de tous les individus. Ceux qui croient comme ceux qui ne croient pas. Cette responsabilité implique que tous les Français souhaitant vivre pleinement leur spiritualité doivent pouvoir le faire librement. En conséquence, l’État doit s’assurer que, partout dans la société, les règles de la République prévalent sur celles de la religion. Ensuite, l’État doit garantir la bonne cohabitation des religions qui doivent pouvoir s’exprimer dans le respect l’une de l’autre. Enfin, l’État doit lutter contre les idéologies politiques qui se réclament de la religion et qui promeuvent une vision obscurantiste de la société. L’inquiétude est là. La République doit être intraitable quand des individus utilisent la religion en vue d’exercer une hégémonie politique et sociale sur d’autres, et changer les règles de la vie en société qui sont celles de la France. Face à ces discours politiques qui se développent, la République doit opposer un autre discours politique. C’est sur ce terrain-là qu’il faut combattre prioritairement.
On vous a peu entendu sur l’affaire du burkini…
Le burkini n’est pas cultuel. C’est culturel, idéologique, politique. Il faut réussir à préserver les libertés individuelles, l’ordre public, mais surtout la juste place de la réponse de l’État. Si nous tombons dans le piège, le risque en retour est de séparer toute une communauté de Français qui existe dans le champ social et politique, qui a sa propre foi, et qui se sentira exclue de par sa foi en raison de notre réponse.
Il était justifié à certains endroits, pour des raisons d’ordre public, d’interdire le burkini. Il est indispensable de mener une bataille politique, idéologique, pour dire que ce vêtement est contraire à l’idée que nous nous faisons de la civilité et de l’égalité entre homme et femme. Il est en même temps indispensable de défendre la liberté individuelle si certains veulent s’habiller d’une certaine façon. C’est une formidable défaite de voir des policiers arriver sur une plage et demander à une femme, au nom de la laïcité, de ne plus porter un burkini. Le but de la laïcité, le projet républicain, c’est de rendre l’individu autonome dans la société et de rendre la société autonome au regard du religieux et du politique. À défendre la laïcité de manière revancharde, certains risquent de la séparer. Quand nous sommes faibles, quand nous acceptons que, pour des raisons religieuses ou politiques, certains ne respectent plus les règles de la République, nous affaiblissons la capacité de celle-ci à maintenir la société dans son ensemble.
Comment redonner confiance aux Français en matière de sécurité ?
C’est un vrai défi qui n’est pas seulement sécuritaire mais aussi moral. Il relève du rapport entre la société et le politique. Au premier degré, la réponse concerne les moyens que Nicolas Sarkozy avait affaiblis quand il était en responsabilité. Il faut compter sur la présence militaire et policière, sur le traitement judiciaire de certaines affaires, la capacité à sanctionner rapidement. Il faut aussi restaurer deux éléments clés, la fonction de renseignement et celle de prévention. Puis veiller à un troisième bloc essentiel : notre capacité à former des individus dans chaque classe d’âge pour défendre notre collectivité, sans pour autant recréer le service militaire.
Au-delà des réponses en terme de moyens, il faut admettre que nous sommes dans une société du risque. Nous devons faire comprendre à nos concitoyens qu’une société du risque est une société de responsabilité. Il est impossible de promettre que le pire ne reviendra pas, sans pour autant inquiéter ni traumatiser. On doit être transparent sur les responsabilités de chacun. Savoir si on a bien fait les choses après un attentat, d’où l’utilité des commissions parlementaires. Agir avec calme et autorité. L’autorité ne se mesure pas à la magnitude du réflexe sécuritaire. Quand le 9 décembre 1893, un attentat anarchiste a lieu au Parlement, les parlementaires sont en train de débattre sur le beurre. Juste après l’explosion, et alors que la fumée n’a pas fini de se dissiper, le président de l’Assemblée dit : « La séance continue. Reprenons le débat sur le beurre. » Chaque président de groupe dit : « Oui, reprenons ce débat sur le beurre, parlons du beurre. » La vraie autorité est de ne pas se laisser imposer l’ordre des choses par ceux qui nous assaillent. Ce qui est moral, c’est la capacité des gouvernants à ne pas se laisser dicter leurs décisions par la tyrannie des événements. C’est pour cela que je n’ai pas réagi dans l’immédiateté ni au débat sur le burkini ni à l’attentat de Nice. Nous sommes tombés dans le gouvernement de l’anecdote ou du fait divers. Or nous devons rester maîtres de nos propres horloges, de nos propres principes, et ne pas en déroger. Si à chaque événement nous devons changer de politique, cela signifie que nous ne sommes pas sûrs de la politique que nous menons. L’autorité n’est pas le diktat impérieux ni les discours revanchards à la télévision. C’est l’intransigeance. Ce sont des décisions graves et parfois d’une grande brutalité. C’est décider le moment et imprimer le sens de l’action que l’on conduit.
Quel rôle attribuez-vous à l’État ?
Je crois dans la place de l’État. Dans notre histoire, il tient la nation. Il ne faut jamais l’oublier. La nation française s’est construite dans et par l’État. Ce sont des choix de l’État qui ont fait nos frontières, imposé la langue, et tenu le pays. La France est un pays très politique. La nation n’est pas une création spontanée, ni l’agrégation de territoires. Elle n’est pas avant tout un fait social. C’est un fait politique qui passe par l’État. La société s’est ensuite émancipée. Un des grands apports de la Deuxième Gauche est d’avoir reconnu l’autonomie du social.
Je pense toutefois qu’il faut moins d’État dans la société et dans l’économie. À vouloir surréguler, l’État s’est affaibli et s’est transformé en étouffoir. On le voit pour ce qui relève de l’entrepreneuriat. On a longtemps considéré que l’État devait se substituer à la société pour agir et que la norme permettait de protéger le faible, selon la philosophie de Lacordaire. Ce n’est plus vrai dans un monde ouvert. Quand la norme surréglemente, elle entrave. Elle empêche la liberté d’entrer dans nombre de maisons, y compris celles des plus pauvres. Prenez l’exemple des cars. On avait rendu très compliqué leur usage pour protéger le rail. Les principales victimes étaient les plus démunis. Dans la vie économique, l’État norme trop. Je crois qu’il est légitime, dans certains secteurs, de réfléchir à moins d’État car il est plus efficace et juste de laisser la société respirer, la créativité s’exprimer. Cette vision correspond davantage au type de société et d’économie dans lesquelles nous sommes entrés.
L’État garde un rôle fondamental, avec ses structures protégeant les individus. Je crois qu’il a un rôle encore plus grand à jouer pour apporter les sécurités universelles dans un monde qui change. Il doit aussi intervenir quand il s’agit du nucléaire, de l’approvisionnement énergétique ou de secteurs critiques de notre économie. L’État doit jouer son rôle, assumer les missions de souveraineté et assurer les biens communs indispensables. Nous devons considérer que si on laisse filer, on sera dépendants d’autres puissances politiques. Mais l’État est plus efficace s’il sait articuler sa souveraineté avec une vraie souveraineté européenne. Il doit exister une protection à cet échelon. La capacité à transformer le rêve français en rêve européen est fondamentale. Mitterrand a su le faire. Il faut retrouver celle filiation. Nous devons penser la place de l’État à travers l’Europe. C’est un des axes de notre vitalité démocratique.
Justement, qu’en est-il de l’Europe et de la mondialisation ?
Le rapport à l’Europe est essentiel. Les souverainistes se sont construits contre elle. Or, où est la vraie souveraineté française ? Elle est parfois dans le pays. Mais aussi dans l’Europe. La souveraineté numérique, la souveraineté énergétique, la souveraineté face au fait migratoire ou militaire se gère à cette échelle. La France ne gagnera pas contre Google et Facebook ; l’Europe si. Au moins, elle les régulera. Elle pourra être un acteur critique face à la Chine et aux États-Unis. Si on est l’Europe, on peut se battre face au dumping chinois dans l’acier, protéger nos populations et nos entreprises. On ne le peut pas si on n’est qu’un pays. Ce paradoxe qui consiste à opposer le souverainisme et l’Europe est aussi un traumatisme français.
La question de la transition énergétique se pose à l’échelle mondiale. Quelles sont ses conséquences sur notre économie ?
Nous vivons une grande révolution à vitesse accélérée. Là où l’énergie, au plan mondial, relevait de la souveraineté, de la verticalité, du fait national hyperconcentré, on assiste à une forte déconcentration. Les nouvelles technologies permettent à un individu de piloter sa consommation et de pratiquer la frugalité énergétique. Chacun va devenir maître de sa consommation. Cette capacité sera facteur à la fois de responsabilité et de compétitivité. La capacité à baisser la consommation par l’innovation, c’est la clé. À mes yeux, on réconcilie ainsi la fonction productive et la préoccupation environnementale. Les énergies renouvelables sont, quant à elles, des fonctions de production de l’énergie très décentralisées, car au plus près du terrain, qu’il s’agisse de l’hydraulique, du solaire ou de l’éolien.
Mais nous devons penser la phase de transition. Elle suppose d’encourager, de fertiliser, d’accélérer cette mise en capacité des individus à choisir leur modèle, tout en préservant les modes souverains de production pour ne pas tomber dans la dépendance. J’ai défendu ce modèle qui met les individus en capacité de produire leur énergie et de la maîtriser. J’ai aussi défendu les grands projets nucléaires du type Hinkley Point, dans le Somerset, car dans l’intervalle, c’est un projet indispensable en Europe, sans lequel nous risquons d’accroître notre dépendance à l’égard du gaz russe, à l’égard du gaz de schiste américain, ou encore de technologies américaines et asiatiques, et d’être en conséquence affaiblis au plan industriel. Il ne faut pas être binaire. Je n’ai jamais opposé les énergies renouvelables au nucléaire. On doit penser la complémentarité pendant un temps de transition.
Quelle doit être selon vous la place de la France dans le monde ?
Nous sommes dans le monde. Par notre géographie. La France est un des seuls pays présents sur tous les continents. C’est aussi notre histoire coloniale et postcoloniale. Par la langue, la France est un pays-monde. C’est notre statut. Nous avons le monde dans le pays, car la France est une terre d’immigration. Une terre où l’universel s’est pensé, une terre de savoir. C’est très spécifique. Ce n’est le cas ni de la Chine ni des États-Unis. Quand des merveilles du monde sont abattues à Tombouctou, la France réagit. Il y a très peu d’Américains que ces événements touchent. Nous avons cette conscience du monde. C’est aussi l’identité française. Notre histoire est que nous avons le monde dans nos tripes. Nous sommes aussi la nation des droits de l’homme. Oui, nous avons vocation à nous mêler aux affaires de la planète.
Une autre raison pragmatique, à présent, est que le monde se déverse dans chacun de nos pays. On l’a vu avec les réfugiés ou le terrorisme. Tout est poreux, tout se déplace. L’extérieur s’importe dans nos débats politiques, dans notre vie. On ne peut s’en désintéresser. Bien sûr, on ne peut agir seuls. La question est : comment parvenir à retricoter un système multilatéral efficace, aujourd’hui essoufflé à cause du repli des États-Unis sur eux-mêmes, lié au gaz de schiste et aux grands choix géostratégiques d’Obama. Les États-Unis deviennent une puissance de plus en plus tournée vers le Pacifique, de moins en moins vers l’Atlantique, de moins en moins dépendante du Moyen-Orient. Or cette région, avec l’Afrique, est au cœur des intérêts géopolitiques, économiques et commerciaux. Comment retrouver des alliés qui partagent nos valeurs, comme jusque-là les États-Unis ?
L’Europe n’est-elle pas une partie de la solution ?
Nous avons besoin d’une politique européenne plus coordonnée sur les plans humanitaire, de l’aide au développement et de l’intervention commune. Celle-ci reste très faible. Les choses peuvent changer car l’Allemagne fait son aggiornamento depuis la crise des réfugiés. Son évolution progressive est importante. Ce qu’on vit avec la crise des réfugiés est la meilleure preuve que si nous n’avons pas une politique commune pour la protection des frontières, le développement et la politique humanitaire, nous en payons cash les conséquences. Si l’Europe avait été capable de formuler une réponse coordonnée quand on a identifié les problèmes des réfugiés syriens, les premiers camps en Turquie et au Liban, jamais nous n’aurions eu la première route des Balkans et les millions de réfugiés arrivant en Europe. C’est parce que nous n’avons pas su organiser une réponse humanitaire au Liban et en Turquie que nous avons rencontré ce problème. Avec l’Afrique, nous avons ce même défi : la France a un rôle très particulier et doit l’assumer. Je suis pour une vraie politique française de partenariat économique et culturel équilibré. Il faut aider l’Afrique et l’assumer, sans fausse pudeur postcoloniale.
Vous semblez prêt à porter vous-même ce programme.
La seule chose qui m’arrêterait serait de voir qu’à un moment donné, je deviens un danger ou un obstacle pour que les idées que je porte puissent accéder au pouvoir. Tant que ce n’est pas le cas, sky is the limit.
Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO
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