Lors d’une entrevue avec des journalistes des Échos, il y a de cela plus de huit mois, j’avais eu l’audace un peu provocatrice d’accepter comme titre de leur article : « Henry Hermand, l’homme qui veut faire de Macron un président », sans même en informer l’intéressé. Il s’agissait d’un souhait de ma part, si la situation politique s’éclaircissait un jour, permettant d’envisager une telle éventualité.

Les raisons de mon initiative tenaient essentiellement à la dégradation de notre système politique et social. Déjà M. Bartolone était scandalisé par les allusions d’Emmanuel Macron qui osait mettre en doute la pertinence du maintien des 35 heures ou de l’ISF sous sa forme actuelle. Déjà M. Cambadélis rêvait d’un référendum pour que s’impose l’union de toutes les gauches, c’est-à-dire de tout et son contraire. Déjà M. Mélenchon préparait sa campagne présidentielle, persuadé que rien ne pourrait l’arrêter. Déjà Mme Le Pen, à quelques inflexions près, voulait nous débarrasser de l’Euro, source de tous nos maux. Et déjà, ceux qui ne comprennent rien à l’inéluctable mondialisation s’enfermaient dans leurs rêves hexagonaux.

Sur le plan économique, bien peu de changement et guère d’amélioration, malgré des facteurs favorables : baisse du prix du pétrole, taux d’intérêt extrêmement bas… Nonobstant une petite reprise, réelle certes et à cet égard prometteuse, la France figure toujours parmi les mauvais élèves de la classe européenne. Dépense publique de plus de 50 %, endettement qui s’accroît au-delà de 2 100 milliards d’euros, fiscalité des entreprises décourageante pour l’investissement par rapport à celles de nos grands voisins, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, sans parler de ces cas extrêmes comme l’Irlande, le paradis des investisseurs.

Sur le plan social, le taux de chômage avoisine toujours les 10 %, soit le double de celui de nos voisins. La précarité et une grande pauvreté frappent toujours des millions de Français.

Sur le plan politique, la droite, dont le nombre des candidats à la présidentielle ne cesse de s’accroître, offre le triste spectacle d’une division qu’elle ne cherche même plus à dissimuler. Quant à la gauche, son éclatement n’a cessé de se poursuivre. Les frondeurs frondent de plus en plus et les réformistes sont toujours aussi critiqués, car trop favorables aux entrepreneurs et à l’argent-roi.

Et pourtant, une lueur d’espoir brille déjà depuis quelques mois. Le désormais ancien ministre de l’Économie paraît sorti d’un autre monde que celui des politiciens plus ou moins chevronnés. Comme l’a écrit Jean Peyrelevade, ses propositions ne sont ni de droite ni de gauche, mais simplement modernes. Sa méthode tout au long de l’examen de sa loi, au cours duquel il paya de sa personne pour tenter de convaincre ses contradicteurs, a inauguré une nouvelle manière de traiter les parlementaires tout en respectant leurs opinions.

Ses propositions, autant que sa manière de procéder, ont suscité tant d’intérêt dans l’opinion publique que magazines et journaux ont rivalisé pour être les premiers à l’interviewer ou simplement informer leurs lecteurs à son sujet. La création du mouvement En Marche ! est venue couronner la démarche. Puis la réunion à la Mutualité à Paris, devant une salle archicomble et quarante parlementaires, a réveillé, notamment chez les jeunes, espoir et enthousiasme. Les adhésions au mouvement se sont multipliées.

Mais après vint l’attente. Emmanuel Macron n’était-il pas trop lié au président ? La clarification s’est vite imposée. Elle ne pouvait s’exprimer que par une démission. Ses amis étaient partagés. Certains, comme Gérard Collomb, souhaitaient attendre la réunion des réformateurs à la mi-septembre ; d’autres, dont j’étais, souhaitaient une décision rapide.

Tout justifiait ce départ, en particulier l’examen de la loi de finance qu’il aurait dû cautionner en tant que membre du gouvernement, sans en approuver les orientations. Emmanuel Macron avait été sanctionné et n’avait plus d’espace : la loi Noé (« nouvelles opportunités économiques ») avait été abandonnée ; il avait été en partie écarté de l’élaboration de la loi El Khomri, dont les mesures phares, comme le problème délicat des prud’hommes, étaient abandonnées. La démission s’imposait après ce simple constat, pour un réformiste convaincu, qu’on avait à peine fait la moitié du chemin, qu’il n’y avait plus de réforme en vue jusqu’à la fin du quinquennat et surtout pas les réformes de structure indispensables au relèvement de notre compétitivité. Emmanuel Macron a fait le job et c’est bien ainsi. Il reprenait enfin sa liberté et allait pouvoir s’exprimer sur les grands sujets de l’heure : le rôle de l’État, l’identité française, l’éducation, la place de la jeunesse, etc.

Alors comment comprendre une telle levée de boucliers, un tel déchaînement de violence verbale – « Trahison », « Brutus » –, si ce n’est que cette démission vient troubler le jeu des ambitions et rebattre les cartes ? Elle est le seul élément nouveau de la rentrée. Les sondages les plus récents prouvent que la donne pour la présidentielle a brusquement changé. Avec les réactions bizarres de ceux qui se sentent menacés dans leurs ambitions personnelles. Comme François Bayrou, qui voit dans la candidature Macron la mainmise de la finance sur notre destin national. Rien que cela ! Voilà une déclaration un peu sommaire et pas tout à fait honnête intellectuellement. Celle, encore plus surprenante, d’Alain Juppé : « Macron est Brutus, mais François Hollande n’est pas César. » Juppé n’avait-il pas assuré qu’il ne se livrerait qu’au débat d’idées et non aux attaques personnelles ? Ou encore les déclarations de Nathalie Kosciusko-Morizet, rayonnante de bonheur à l’idée de figurer dans la cour des grands. Mais pourquoi, pour se distinguer des autres, NKM fait-elle des commentaires sur la modernité directement inspirés des propositions d’Emmanuel Macron au point que l’on s’y tromperait ?

S’il est trop tôt pour annoncer sa candidature, tout le travail est à faire pour Macron : consolidation des équipes, experts et politiques, avant de peaufiner les propositions, engagement de nouveaux collaborateurs. Pour lui, la voie est tracée et, comme il le dit lui-même, rien ne devrait l’arrêter sauf le cas peu probable d’une hypothèse qu’il a l’honnêteté d’évoquer. Du côté des politiques, droite et gauche confondues, il n’a rien à attendre, sauf la petite ouverture à l’UDI de Jean-Christophe Lagarde, vite rabroué par ses collègues préoccupés au premier chef de leurs désignations par Les Républicains comme candidats aux prochaines législatives. Emmanuel Macron et ses amis devront compter d’abord sur M. Dupont et M. Durant – ce qu’ils appellent la société des gens, chère au sociologue Alain de Vulpian, ces gens depuis longtemps éloignés des partis politiques et qui mettent leurs espoirs dans un changement radical, positif, pragmatique autant que visionnaire, à l’opposé du projet de Mme Le Pen. C’est du peuple que viendront les appuis et pas seulement d’une partie de nos élites modernes. Et pour moi qui, depuis plus d’un demi-siècle, ait soutenu, voire incarné, le progressisme sous toutes ses formes, le macronisme est à présent le plus adapté au monde moderne en pleine évolution. Après d’Astier de La Vigerie, après Mendès France, après mon vieil ami Michel Rocard, tant regretté, Emmanuel Macron, pour moi, symbolise l’espoir. 

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