Au début du XIXe siècle, la police ne fait pas encore la distinction entre les malades mentaux, les vagabonds et les prostituées au moment de leur interpellation. Tous se retrouvent ensemble au Dépôt. L’une des missions du préfet de police de Paris, poste créé en 1800, est d’empêcher « qu’on laisse vaguer des furieux, des insensés, des animaux malfaisants ou dangereux ». Les cas mentaux les plus préoccupants sont présentés et examinés par un médecin à l’Hôtel-Dieu, quai de la Cité. Ce praticien transmet ses conclusions au préfet qui prend, seul, la décision d’un internement – à Bicêtre pour les hommes, à La Salpêtrière pour les femmes, les deux grands centres chargés d’accueillir les insensés.

La loi Esquirol, dite « des aliénés », du 30 juin 1838, modifie la donne. Elle sépare les malades mentaux des autres interpellés. Le texte prévoit qu’en « aucun cas, les aliénés ne pourront être conduits avec des condamnés ou des prévenus ni déposés dans une prison ». L’internement devient une mesure médicale et administrative. Et la psychiatrie, une discipline médicale à part entière.

En France, les départements sont dotés d’établissements médicaux pour prendre en charge ces personnes. Paris échappe à cette règle. Moment singulier dans l’histoire psychiatrique, une infirmerie spéciale du Dépôt, située quai de l’Horloge, annexe du Dépôt, est créée. Une structure unique en France et en Europe. Ce nom d’infirmerie spéciale apparaît pour la première fois en 1871 dans une circulaire du général Valentin, alors préfet de police. La naissance de la structure reste toutefois encore mal connue puisqu’une partie des archives de la Ville de Paris a brûlé dans un incendie durant la Commune.

Durant un siècle et demi, l’existence et le fonctionnement de l’ancêtre de l’I3P se réfèrent à la loi de 1838 qui prévoit : « En cas de danger imminent, attesté par le certificat d’un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police de Paris ordonneront à l’égard des personnes atteintes d’aliénation mentale toutes les mesures provisoires nécessaires. »

Au fil des années, l’infirmerie spéciale conserve son épais rideau de fantasmes et d’anonymat. Les témoignages de cette période sur le fonctionnement de la structure restent avant tout ceux des soignants qui y travaillent. Ainsi, un médecin-chef au début du XXe siècle : « Nous y saisissons sur le vif, et pour ainsi dire à l’état naissant, la folie au moment précis et surtout dramatique où le psychopathe qui n’était alors qu’un malade entre en troublant l’ordre public et la sécurité des personnes dans le domaine médico-légal, et devient ainsi au sens véritable du mot un aliéné. » Puis Adolphe Rueff, deuxième médecin adjoint de l’infirmerie spéciale, en 1905 : « La première impression, celle qui frappe tout d’abord le visiteur, est l’absence de clarté, de lumière ; il s’y joint, même en plein été, une sensation de froid humide, accompagné d’une odeur pestilentielle. » Plus loin, Rueff raconte avec force détails les conditions d’accueil déplorables de l’infirmerie spéciale. « Les entrants conservent leurs vêtements, mais beaucoup d’entre eux en sont dépourvus. […] Ils restent nus. »

En 1950, l’infirmerie spéciale du Dépôt devient l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, l’I3P. En 1970, la structure quitte le quai de l’Horloge pour le 3 de la rue Cabanis, à proximité de l’hôpital Sainte-Anne, dans le XIVe arrondissement. Elle y est toujours.

Durant cette même période, des thèses sur la structure fleurissent. Ainsi, une psychiatre explique, en 1973, que 40 % des admissions à l’I3P concernent des personnes en « état d’ivresse aiguë », auxquelles s’ajoutent de jeunes hommes marginaux ou drogués, le plus souvent issus de quartiers populaires de la capitale.

Il faut attendre les réformes de 1990 puis de 2011 pour dépoussiérer la loi Esquirol. Les notions d’hospitalisation et de patient remplacent celles d’internement et d’aliéné. Dans son histoire récente, l’I3P a notamment admis le philosophe Louis Althusser, après le meurtre de son épouse, Maxime Brunerie, auteur d’une tentative d’assassinat sur le président Chirac en 2002, ou encore l’artiste performeur et polémiste russe Piotr Pavlenski. 

V.G.

 

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