La demande de soins en psychiatrie a-t-elle augmenté depuis un an chez les jeunes, en lien avec l’épidémie de Covid ?

Oui, il s’agit d’une demande très impressionnante, d’un mouvement intense, surtout depuis quelques mois. Il faut distinguer plusieurs périodes. Au moment du premier confinement, nous avons paradoxalement constaté un effet de soulagement chez certains de nos patients (notamment pour les cas de phobie sociale, de harcèlement…). Ces jeunes se sont sentis protégés par cette situation inédite. Mais, dans un deuxième temps, à partir de la rentrée de septembre, on a observé une sorte de contrecoup. Des adolescents se sont massivement présentés pour des consultations, que ce soit aux urgences ou à la Maison de l’adolescent. Et cette vague ne s’est pas calmée depuis le début de l’année, ce qui fait peser une pression incroyable sur les personnels soignants.

Quelle est la tranche d’âge la plus concernée et quels types de troubles diagnostiquez-vous ?

Il y a une nette prédominance des 12-17 ans. Dans les unités dont j’ai la responsabilité, ce qui monte de manière significative, en lien avec cette situation de crise, ce sont les idées suicidaires (+ 63 %), les troubles anxieux et dépressifs (+ 96 %), la déscolarisation. Les violences intrafamiliales ont aussi eu pour conséquence de conduire à nous de nombreux jeunes en demande de protection.

Quels sont les troubles les plus surprenants et les plus liés à l’épidémie ?

Nous observons une explosion des cas de troubles du comportement alimentaire – l’anorexie mentale, en particulier (+ 68 %). Ce sont des phénomènes que l’on connaît bien, qui sont en constante augmentation ces dernières années, mais que l’on n’attendait pas forcément dans le contexte d’une crise sanitaire. Il y a aussi ces jeunes inquiets à l’idée de pouvoir transmettre le virus à leurs proches, qui en viennent à se replier sur eux-mêmes, à se priver de contact. Et enfin ceux qui ont été confrontés à des deuils dans leur famille, avec des rites funéraires entravés, qui se retrouvent dans des situations très particulières de deuil pathologique.

Spontanément, vous n’évoquez pas les questions d’addictologie, qu’elles soient liées à l’alcool ou aux stupéfiants. Cela n’apparaît pas ?

En fait, les troubles du comportement alimentaire – refus ou excès d’alimentation – entrent dans la catégorie de l’addictologie. Mais il est exact que les jeunes adolescents qui nous consultent le plus pour l’instant ne viennent pas pour des questions d’alcoolisme ou de substances toxiques, ils ne mettent pas cela en avant.

Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans cette crise, avec le recul d’une année ?

L’ampleur de la détresse de ces adolescents. Cette crise sanitaire leur a coupé les ailes. Au début de l’épidémie, on n’a pas mesuré à quel point les jeunes ont besoin de contacts. On a cru que cette génération hyperconnectée, très à l’aise avec les nouvelles technologies et adepte des réseaux sociaux, allait continuer à surfer et pouvoir se contenter du virtuel. On s’aperçoit aujourd’hui des limites des contacts à distance. L’interaction dans le monde réel est primordiale, y compris pour les jeunes, sans quoi leur santé mentale est mise en danger. Cela nous rappelle que les premières interactions d’un être humain se font au travers des adultes, le plus souvent des parents. Un bébé se nourrit et se construit à partir d’une interaction physique, directe, continue et émotionnelle. On s’aperçoit que cela se poursuit à l’adolescence. Un « bain social » est nécessaire, vital. L’amitié, l’amour, les expériences sexuelles se déploient dans la réalité, pas dans le virtuel ou à distance. Le lien social est un facteur de protection vis-à-vis de la pathologie mentale. 

 

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER

 

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