À peine étais-je entré à l’hôtel des Affaires étrangères que nous envisageâmes la principale question que nous avions à résoudre pour établir la politique étrangère de la République française dans la véritable ligne que la raison publique, l’intérêt et la dignité bien entendue du peuple français devaient, selon nous, lui tracer. 

Trois questions se présentaient à nous. D’abord la question de l’attitude générale qu’aurait à prendre la République française vis-à-vis des nations étrangères. Nous la résolûmes en peu de jours. Animés, nous en avons eu depuis la certitude, par le véritable esprit de la nation française, nous déclarâmes que si la République pouvait se fonder par la paix, l’intérêt de l’humanité, l’intérêt du peuple qui entrait tout entier, comme un élément nouveau, dans les institutions, nous commandait une sollicitude plus digne, mais aussi une sollicitude plus jalouse et plus profonde pour le maintien de la paix du monde. 

La République française ne déclarera la guerre à personne ; elle n’a pas besoin de dire qu’elle l’acceptera, si l’on pose des conditions de guerre au peuple français. La pensée des hommes qui gouvernent en ce moment la France est celle-ci : Heureuse la France si on lui déclare la guerre, et si on la contraint ainsi à grandir en force et en gloire malgré sa modération. Responsabilité terrible à la France, si la République déclare elle-même la guerre sans y être provoquée !

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Nos sentiments, nous pouvons les exprimer ici en famille ; et comme ministre des Affaires étrangères, je puis le dire, nous n’avons pas à craindre pour la paix de l’Europe. Nous n’avons pas créé une république comme les républiques antiques, qui avaient pour principe la guerre et la conquête ; qui, ne pensant qu’à occuper des territoires, ne s’occupaient pas du droit. Notre principe à nous est différent, et vous ne nous avez acceptés que parce que vous avez reconnu que nous avions proclamé la liberté, l’égalité, la fraternité, non seulement entre les hommes d’un même peuple, mais entre tous les peuples.

Mais, malgré ces sentiments, il y a toujours pour une république qui surgit en France, il y a toujours à l’aspect d’une force possible une certaine émotion en Europe, une certaine inquiétude dans les cours étrangères, la possibilité de contestation. Nous avons obéi à un sentiment de bons citoyens en pensant à la réorganisation de l’armée, non pas pour la porter au foyer de nos libertés, à Paris, mais pour nous tranquilliser sur le dehors. Cela est indispensable.

Quant aux sentiments que vous ne partagez pas, mais que quelques rumeurs publiques auraient tendu à faire partager à la population sur l’appel prétendu de 20 000 hommes, non, messieurs, il serait indigne de tout gouvernement de liberté, de tout gouvernement sérieux, de se défier du peuple de Paris, et de préparer contre lui ces armes perfides avec lesquelles deux fois, on l’a, non pas attaqué, mais joué, et qu’il a brisées dans le sentiment de sa liberté.

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Nous désirons, pour l’humanité, que la paix soit conservée. Nous l’espérons même. Une seule question de guerre avait été posée, il y a un an, entre la France et l’Angleterre. Cette question de guerre, ce n’était pas la France républicaine qui l’avait posée, c’était la dynastie. La dynastie emporte avec elle ce danger de guerre qu’elle avait suscité pour l’Europe par ambition toute personnelle de ses alliances de famille en Espagne. Ainsi cette politique domestique de la dynastie déchue, qui pesait depuis dix-sept ans sur notre dignité nationale, pesait en même temps, par ses prétentions à une couronne de plus à Madrid, sur nos alliances libérales et sur la paix. La République n’a point d’ambition ; la République n’a point de népotisme. Elle n’hérite pas des prétentions d’une famille. Que l’Espagne se régisse elle-même, que l’Espagne soit indépendante et libre. La France, pour la solidité de cette alliance naturelle, compte plus sur la conformité de principes que sur les successions de la maison de Bourbon ! 

Tel est, monsieur, l’esprit des conseils de la République ; tel sera invariablement le caractère de la politique franche, forte et modérée, que vous aurez à représenter.

La République a prononcé en naissant, et au milieu de la chaleur d’une lutte non provoquée par le peuple, trois mois qui ont révélé son âme et qui appelleront sur son berceau les bénédictions de Dieu et des hommes : Liberté, égalité, fraternité. Elle a donné, le lendemain, par l’abolition de la peine de mort en matière politique, le véritable commentaire de ces trois mois au dedans ; donnez-leur aussi leur véritable commentaire au-dehors. Le sens de ces trois mois appliqués à nos relations extérieures est celui-ci : affranchissement de la France des chaînes qui pesaient sur son principe et sur sa dignité ; récupération du rang qu’elle doit occuper au niveau des grandes puissances européennes ; enfin, déclaration d’alliance et d’amitié à tous les peuples. Si la France a la conscience de sa part de mission libérale et civilisatrice dans le siècle, il n’y a pas un de ces mots qui signifie guerre. Si l’Europe est prudente et juste, il n’y a pas un de ces mots qui ne signifie paix. 

 

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