Monsieur le président de la République, où aller, au lendemain de votre intronisation, sinon en Allemagne ? Vous aviez solidement balisé le terrain, en janvier dernier, à l’université Humboldt, dans un discours auquel les médias allemands ont prêté davantage attention que nous. En faisant de notre ambassadeur à Berlin votre conseiller diplomatique, vous avez mis les points sur les i. Au moment où j’écris ces lignes, on ignore si tout cela vous aura permis d’adoucir les rigueurs d’une chancelière qui, d’élection test en élection clé, doit sentir la terre s’affermir sous ses pieds et l’Allemagne devenir son La La Land. Vous avez sûrement employé tous vos talents à la convaincre du bien-fondé d’un budget propre à la zone euro. L’Allemagne est une nécessité, chacun en convient et l’Europe votre beau et principal souci. Et c’est parce que vous avez cette passion européenne que je voudrais attirer votre attention sur le besoin de Grande-Bretagne qui est le nôtre. Le moment peut paraître mal choisi, quoique les premiers effets du Brexit semblent faire vaciller les convictions de nombreux Britanniques. Mais, quoi qu’il en soit du résultat des prochaines élections convoquées par Mme May, nos relations avec son pays ne peuvent s’accommoder de la froideur distante et résignée dans laquelle elles sont tombées.

Les Anglais sont notre indispensable contraire, ils sont notre faire-valoir comme nous sommes le leur. Nos incessantes querelles ont cimenté nos accordailles. Leurs vertus sont celles qui nous manquent, et d’abord le civisme et le courage dont votre ami Daniel Cordier, qui fut le secrétaire de Jean Moulin, a dû vous donner maints exemples. L’humour, aussi, celui avec lequel Churchill répondit aux annonces d’invasion de son île aboyées par Hitler : « Nous attendons l’invasion promise, les poissons aussi. » D’ailleurs Churchill est un peu à nous, comme le sont les personnages de tant de leurs romans et de leur théâtre, d’Alice à David Copperfield, de Sherlock Holmes à Harry Potter, de Mowgli au docteur Jekyll, du Prospero de Shakespeare au Davies de Pinter en passant par les héros de Marlowe, Bond, Wilde, Saunders, Peter Shaffer ou Sarah Kane. Dois-je recourir au lecteur que vous êtes et au comédien amateur que vous avez été pour observer qu’il n’y a aucun autre pays européen dont la littérature et le théâtre nous soient aussi familiers, fassent autant partie de ces œuvres qui nous rendent le monde intelligible ou supportable ?

Quant aux défauts de ces insulaires, nous les chérissons, car ils sont autant de raisons que nous nous donnons de nous admirer : leur cuisine est infâme, leur langue, imprononçable, leurs verbes, irréguliers, leur vision du monde, orgueilleuse et impertinente, leur bière, tiède, leur reine, coiffée d’abat-jour, leurs joueurs de rugby, brutaux et hypocrites, leurs aristocrates, dégénérés et outrecuidants, leurs diplomates, fourbes et obreptices, leur climat, fétide et corrompu, leurs pensionnats de garçons sont des nœuds de vipères lubriques et leurs public schools sont privées.

Il n’y a pas de peuple que nous aimions autant abominer que les Anglais. Il n’y a donc pas de peuple qui nous rende un aussi grand service : dois-je invoquer Aristote, Fichte, Hegel et Sartre pour rappeler au philosophe que vous fûtes que le moi se pose en s’opposant ? Monsieur le président, aidez-nous à redécouvrir l’Angleterre !  

Vous avez aimé ? Partagez-le !