Les Français sont fondamentalement pro-européens, mais l’engagement européen de la France avait cessé d’être assumé politiquement par nos dirigeants. Depuis dix ans, la France n’a mis aucune idée sur la table en matière européenne. Si ce n’est cette alliance des pays latins contre la prétendue austérité des pays dits nordiques. Nous devons d’abord élaborer une position commune entre Paris et Berlin puis la mutualiser entre les six pays fondateurs plus l’Espagne. Et éventuellement la Pologne, quand elle sera revenue au plein respect des principes démocratiques. L’état du monde – mutations, crises, menaces, opportunités – impose de dépasser le seul « grand marché » pour concevoir une « grande stratégie » d’engagement dans les affaires du monde.

Depuis 1945, le projet européen est dépendant de son contexte international. Au départ, c’est l’après-guerre, dans un continent en ruine. L’enjeu était simple : « Plus jamais ça ! » Et reconstruire. Puis vint la guerre froide, qui enclencha le rapprochement franco-allemand sous pression des Américains. Troisième temps : pour une demi-douzaine de pays européens, la décolonisation s’imposa. Il ne s’écoula pas plus de seize semaines entre les accords d’Évian sur l’indépendance de l’Algérie et la rencontre entre de Gaulle et Adenauer à Reims. Le message adressé à la France par ce pivot européen est clair : l’empire colonial, c’est fini ; l’avenir de la France est dans l’Europe et passe donc par la réconciliation avec l’Allemagne. Ensuite vient une quatrième séquence, qui a été bien gérée : c’est, en 1989-1991, la fin de l’Union soviétique et l’émancipation des pays satellites. Plus de 300 000 soldats soviétiques ont quitté la RDA sans coup férir. Moscou a accepté l’unification allemande ; Bruxelles a conduit l’élargissement de l’Union. Le cinquième temps s’ouvre en 2001 avec les attentats contre le World Trade Center et l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, puis en 2003 l’expédition militaire anglo-américaine en Irak. Nous y sommes encore. Cette phase nous fait entrer dans un monde que je qualifie de « néo-national » (en référence au cas de la Russie, de la Turquie et de l’Iran). Une de ses caractéristiques, c’est l’entrée en scène des pays émergents.

Malgré ce nouveau contexte, les institutions européennes fonctionnent encore avec le logiciel de la période précédente. L’Union européenne est toujours et d’abord un grand marché et, excepté au niveau de la surveillance des frontières extérieures et de la coordination antiterroriste, aucun progrès décisif n’a été accompli en matière de défense, ni même de politique extérieure. D’ailleurs comment en concevoir une si on ne sait pas où commence l’extérieur, faute d’avoir voulu trancher la question des limites de l’Europe de l’Union ? Devons-nous laisser Moscou et Ankara décider à notre place ?

Pour retrouver un accord entre le contexte et la politique européenne, il paraît absolument nécessaire que la France lance une initiative de politique extérieure concertée en convainquant le partenaire allemand de sortir de son neutralisme. Ce ne sera pas facile. Mais, après tout, Mitterrand a bien obtenu du chancelier Helmut Kohl d’abandonner le mark, pilier de la souveraineté allemande recouvrée. L’Allemagne est une puissance européenne qui joue en dessous de sa catégorie ; elle voyage en seconde avec un billet de première, à l’inverse de la France. L’élaboration d’une plateforme commune de politique étrangère et de défense nous permettrait d’être plus forts vis-à-vis de Moscou, qui veut casser l’Union européenne, mais aussi face aux Américains, qui n’ont jamais aimé l’euro. L’Union européenne, premier marché du monde et plus vaste espace démocratique de la planète, a des valeurs et des intérêts partagés à promouvoir. Les centres de pouvoir situés ailleurs et intéressés par un système multipolaire n’attendent que cela. 

Conversation avec J-A.F

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !