Une communarde comme les autres ?
« Montmartre, Belleville, ô légions vaillantes, Venez, c’est l’heure d’en finir. Debout ! La honte est lourde et pesantes les chaînes, Debout ! Il est beau de mourir. » La CommuneTemps de lecture : 8 minutes
« Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi. » Ces paroles de Louise Michel, prononcées lors de son procès le 16 décembre 1871, résonnent aujourd’hui encore. Comme des milliers d’autres communards, elle est traduite devant le conseil de guerre, après plusieurs mois d’emprisonnement dans les prisons de Versailles. Plus de trente-six mille individus sont jugés par les tribunaux militaires, parmi lesquels environ 1 050 femmes. 60 % des hommes et 80 % des femmes vont bénéficier d’une ordonnance de non-lieu. Les autres seront condamnés à mort, à la déportation dans une enceinte fortifiée, ou à des peines de prison. Louise Michel sera envoyée en Nouvelle-Calédonie, où elle restera jusqu’à l’amnistie plénière votée en 1880.
De quoi est accusée Louise Michel ? Selon son acte d’accusation, d’être « intimement liée avec les membres de la Commune », de les avoir aidés « de toutes ses forces, de toute sa volonté » et même de les avoir « dépassés ». Plus généralement, le conseil de guerre lui reproche d’avoir « excité les passions de la foule, prêché la guerre sans merci ni trêve, et, louve avide de sang, […] provoqué la mort des otages par ses machinations infernales ». Le président du conseil de guerre l’interroge également sur le port du costume de garde national, qui, pour une femme, constitue à lui seul une infraction. L’acte d’accusation ne fait cependant pas mention de l’usage du pétrole et de l’incendie. Seules cinq femmes ont été jugées comme « pétroleuses » (Élisabeth Rétiffe, Léonie Suétens, Joséphine-Marguerite Marchais, Eulalie Papavoine et Lucie Bocquin). Ce n’est pas le cas de Louise Michel, et c’est elle-même, dans son interrogatoire, qui s’accuse d’actes incendiaires.
Finalement, qu’a réellement fait Louise Michel pendant la Commune ? Combattante, elle a passé deux mois les armes à la main à défendre le projet révolutionnaire qui s’élaborait à Paris. Si elle a formulé des propositions auprès du gouvernement communard en faveur d’une nouvelle méthode d’enseignement et de la création d’écoles laïques – elle fait preuve, dans son métier d’institutrice, d’un grand investissement en matière de questions pédagogiques –, son engagement pendant la Commune est surtout à l’extérieur de Paris, face à l’armée gouvernementale.
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Le 19 septembre 1870, alors que la guerre contre la Prusse dure depuis deux mois et que la République vient d’être proclamée quelques jours plus tôt, Paris est assiégé par l’armée prussienne. Louise Michel est alors institutrice dans une école de la rue Houdon, et membre de la Société de secours aux victimes de la guerre, présidée par Émilie Boissonnet, l’épouse du futur président du Conseil Jules Simon.
Pendant le siège, Louise Michel s’efforce de trouver du ravitaillement pour les élèves de son école, notamment auprès de Georges Clemenceau, alors maire du XVIIIe arrondissement. Parallèlement, elle participe aux activités des deux comités de vigilance de Montmartre, celui des hommes et celui des femmes. Le soir, elle assiste aux séances des clubs blanquistes, notamment les clubs de la Révolution, et celui du journal créé par Blanqui, La Patrie en danger. Elle est présente aussi dans les clubs de femmes : celui des Batignolles, avec Hubertine Auclert, celui de la Boule noire, avec Sophie Doctrinal (dite Poirier).
En janvier 1871, l’Affiche rouge est placardée sur les murs de Paris pour appeler la formation de la Commune. Le 22 janvier, les délégués de la Garde nationale et les clubs organisent un rassemblement devant l’Hôtel de Ville, pour protester contre l’armistice. Louise Michel s’y rend armée, et riposte face à la fusillade des gardes mobiles bretons. En souvenir de ce jour, elle écrira plus tard dans La Commune (1898) : « La première fois qu’on défend sa cause par les armes on vit la lutte si complètement qu’on n’est plus soi-même qu’un projectile. »
C’est à nouveau à Montmartre que, le 18 mars, elle fait partie de la foule qui empêche les troupes gouvernementales de saisir les canons de la Garde nationale.
Quelques jours plus tard, elle propose d’assassiner le président Adolphe Thiers réfugié à Versailles. Ses camarades blanquistes, Raoul Rigault et Théophile Ferré, la convainquent de renoncer. Pour leur montrer que son projet est réalisable, elle se rend à Versailles habillée en bourgeoise, et revient à Montmartre sans se faire arrêter. Elle raconte que, pour prouver sa réussite, elle achète les journaux versaillais du jour.
Une fois la Commune proclamée (28 mars) et après les premières attaques de l’armée versaillaise contre Paris (2 avril), Louise Michel rejoint la ligne de front aux Moulineaux, à Issy et à Clamart avec le 61e bataillon de marche de Montmartre, dirigé par le blanquiste Émile Eudes. On lit dans le Journal officiel du 10 avril que « dans les rangs du 61e bataillon combattait une femme énergique. Elle a tué plusieurs gendarmes et gardiens de la paix ». Ambulancière et surtout combattante, elle court de tranchées en barricades. Le 14 avril, Le Cri du peuple s’inquiète au sujet de son état de santé : « La citoyenne Louise Michel, qui a combattu si vaillamment aux Moulineaux, a été blessée au fort d’Issy. » Elle est en fait légèrement blessée par une balle au poignet et souffre d’une entorse qui l’empêche de marcher pendant plusieurs jours. Quand le 61e régiment est en repos, elle rejoint le bataillon des Enfants perdus à la redoute des Hautes-Bruyère, ou les régiments de La Cécilia à Montrouge et de Dombrowsky à Neuilly. Elle devient ainsi rapidement un exemple de l’engagement des femmes de la Commune. Son amie André Léo exhorte ainsi les femmes au combat dans Le Rappel du 13 avril 1871 : « Louise Michel, Mme de Rochebrune, bien d’autres ont déjà donné l’exemple et font l’orgueil et l’admiration de leurs frères d’armes, dont elles doublent l’ardeur. Quand les filles, les femmes, les mères, combattront à côté de leurs fils, de leurs maris, de leurs pères, Paris n’aura plus la passion de la liberté, il en aura le délire. »
Louise Michel ne retourne presque jamais dans Paris. Elle effectue deux missions d’estafette pour La Cécilia, assiste à deux réunions des clubs révolutionnaires qui se tiennent dans les églises réquisitionnées, et elle affirme n’avoir dormi chez elle qu’une seule nuit pendant les deux mois de combat. En effet, écrit-elle dans La Commune, « quelque chose m’attachait à la lutte au-dehors ; une attirance si forte, que je ne cherchais pas à la vaincre ».
Le 21 mai, le général Mac Mahon lance une grande offensive sur Paris : c’est le début de ce qui a ensuite été appelé la Semaine sanglante. Les barricades se multiplient et des dizaines de bataillons, d’environ deux cents hommes, se constituent pour défendre la Commune. Louise Michel prend position avec les fédérés du 61e bataillon dans le cimetière de Montmartre, puis à la chaussée Clignancourt. Les femmes – plus de dix mille, selon Louise Michel – sont présentes sur toutes les barricades, notamment celle, restée célèbre, de la place Blanche : on y trouve Élisabeth Dmitrieff, Nathalie Lemel, Malvina Poulain, Blanche Lefebvre, ou encore Béatrix Excoffon. L’armée gouvernementale progresse rapidement, et la répression est féroce. Le maréchal Mac Mahon reconnaîtra la mort de dix-sept mille communards pendant les combats, l’historien Jacques Rougerie affirme qu’il y en a sans doute eu le double. Le 23 mai, un bataillon de vingt-cinq femmes, conduites par Élisabeth Dmitrieff et Louise Michel, s’oppose à l’avancée de l’armée gouvernementale au nord de Paris. Malgré leur résistance, les Versaillais s’emparent des Batignolles, puis de Montmartre.
Le 24 mai, Louise Michel apprend que sa mère a été arrêtée à sa place pour être fusillée. Elle décide de se rendre pour la faire libérer. On peut lire sur sa note d’arrestation : « Michel (Louise), capitaine des Francs-Tireuses, accompagnée d’un dossier considérable ». Un rapport de la police municipale indique que « la fille Louise Michel, institutrice, demeurant rue Houdon à Montmartre, a joué un rôle pendant l’insurrection. Elle excitait les femmes à prendre les armes, et elle les aurait prises elle-même ».
Le 27 mai, deux jours avant que Louise Michel fête ses quarante et un ans, les derniers combattants sont fusillés dans le cimetière du Père-Lachaise, le long du mur de la rue du Repos – qui deviendra le « mur des Fédérés ».
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Si Louise Michel a été une combattante acharnée et courageuse, rien ne la distingue vraiment des nombreuses autres femmes investies dans la Commune et combattantes pour la défense de Paris. La Louise Michel de la légende, celle qui deviendra une icône de la Commune de Paris, se construit à partir de son procès.
Après leur arrestation, les communards prisonniers sont emmenés au camp de Satory, où ils doivent attendre leur jugement. Louise Michel est ensuite transférée à la prison des Chantiers à Versailles, puis, le 15 juin, à la maison de correction de Versailles. Le 16 décembre 1871, elle comparaît devant le VIe conseil de guerre. Le public est nombreux et, écrit le contributeur du Salut, « il semble que l’on s’attende dans cette foule, d’avance inquiète, à quelque chose d’imprévu, à quelque chose d’extraordinaire ».
Louise Michel se présente vêtue de noir, portant le deuil de la révolution depuis l’assassinat du journaliste socialiste Victor Noir par un cousin de l’empereur, Pierre-Napoléon Bonaparte, en janvier 1870. Cette résolution vestimentaire, à laquelle elle se conformera jusqu’à la fin de sa vie, devient une composante centrale de son image. Dans ses réponses à l’interrogatoire, Louise Michel refuse de se défendre : « Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue ; j’appartiens tout entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la responsabilité de tous mes actes. » Elle affirme ainsi sa volonté de se fondre dans le collectif, dont elle devient un symbole, une représentante et une martyre.
Son désir de sacrifice, son insolence face au tribunal, ses appels à la vengeance (« Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance », s’écrie-t-elle) vont construire son image publique, immédiatement duale : pour les uns, ces paroles sont celles d’« une véritable folle », quand pour les autres elles sont une « expression d’indomptable fermeté ». Au cours de la décennie suivante, son comportement exemplaire sera souligné dans plusieurs brochures qui invitent tous les révolutionnaires à prendre exemple sur son attitude face aux tribunaux. La première, Un mot sur les tribunaux politiques. Condamnation de Louise Michel, est publiée par un communard exilé en Suisse en 1873. La seconde, Louise Michel devant le sixième conseil de guerre, est éditée au début de l’année 1880 par le journal Le Citoyen. C’est ainsi que Louise Michel est devenue une figure irréprochable, contrairement à certains communards qui ont renié ou minimisé leur participation à l’événement révolutionnaire devant les tribunaux. Elle sera désormais, jusqu’à la fin de sa vie, mémoire vivante de la Commune.
« L’utopie, pour elle, est une promesse, et non un irréel »
Ludivine Bantigny
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L’étincelle des mots
Claude Rétat
Je me souviens un jour, ou plutôt un soir de conférence, ce parterre de têtes stupéfaites parce que, invitée à parler de Louise Michel e…
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