Il y a cent cinquante ans, le 18 mars 1871, s’ébrouait la Commune de Paris, cette insurrection populaire née dans les ruines d’une guerre perdue et sous le regard sévère d’une république balbutiante. Pendant un peu plus de deux mois, on ne se contenta pas d’y chanter Le Temps des cerises. On voulut y « changer la vie », renverser l’ordre établi, instituer une démocratie directe, sociale, ouverte aux femmes. L’expérimentation a tourné court : en mai, la ­Commune est écrasée par les Versaillais lors de la Semaine sanglante, ses meneurs massacrés ou déportés, et le Sacré-Cœur bientôt élevé sur la colline de Montmartre, ­berceau de la révolte. 

Cette histoire, Louise Michel en fut l’une des actrices. Pas un premier rôle, mais une icône ardente, pétroleuse et combattante, sur les barricades comme à l’Union des femmes. Arrêtée et jugée, cette « presque Jeanne d’Arc », comme aimait à l’évoquer Verlaine, appelle de ses vœux le martyre, forçant l’admiration d’un Victor Hugo qui lui consacre un long poème au titre éloquent : Viro Major, « plus grande qu’un homme ». Il y salue le courage et la détermination de cette femme altière à la « majesté farouche » : « Si Dieu te disait : D’où viens-tu ? Tu répondrais : Je viens de la nuit où l’on souffre ; Dieu, je sors du devoir dont vous faites un gouffre ! » Exilée sept ans en Nouvelle-Calédonie, Louise Michel reprit son sacerdoce à son retour, femme de lettres et d’action, prophète d’une révolution drapée dans le sang et le deuil. Raillée par les uns, adulée par les autres, « vierge rouge » ou « louve noire », Louise Michel garda intacte la flamme de la révolte, mue par une sainte colère anarchiste qui lui fit écrire : « La haine est pure comme l’acier, forte comme la hache ; et si l’amour est stérile, vive la haine ! »

C’est pourtant cette même Louise Michel dont le nom figure aujourd’hui au fronton de près de deux cents écoles, célébrée par la République et promise au Panthéon. La même qui se voit élevée au rang des figures tutélaires de la gauche, elle qui se défiait de tous les partis et rejetait le pouvoir « maudit ». La « Bonne Louise » rêvait d’émancipation universelle, soutenait l’idée d’un progrès où la justice serait indissoluble de la liberté. D’un monde débarrassé de l’imposture religieuse, de la supercherie antisémite, de l’obscurantisme entretenu par la misère. Si les temps ont changé, ses mots n’ont rien perdu de leur force subversive quand elle évoque la démocratie, l’autorité ou la quête du bonheur. Ce numéro exceptionnel du 1 revient sur la vie et les combats de cette femme multiple, irréductible aux clichés offerts par la postérité. Louise Michel n’a poussé toute sa vie qu’un seul cri, celui du peuple. Et son écho résonne jusqu’à nous. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !