Des combats de Louise Michel on a tout dit, tout célébré : son engagement républicain puis anarchiste, sa flamboyante participation à la Commune, son combat aux côtés des Kanaks, ses hauts faits lors des manifestations parisiennes de la Belle Époque. Son action éducative passe généralement au second plan. Or il s’agit sans doute de l’activité qu’elle aura exercée avec le plus de constance au cours de sa vie. Et d’une pratique qui, parce que tournée vers l’apprentissage de l’autonomie, s’avère indissociable de ses autres combats. Louise Michel, faut-il le rappeler, a d’ailleurs écrit plusieurs ouvrages pour enfants, sur lesquels on ne s’attarde guère le plus souvent.

L’école est d’abord pour Louise Michel un lieu-refuge. La jeune femme de Vroncourt-la-Côte, fille du châtelain et d’une servante, y alimente son propre éveil. « L’école […], se rappelle-t-elle avec nostalgie dans ses Mémoires, est une maison obscure n’ayant que deux pièces : la plus grande donnant sur la rue est la classe. » Plus tard, à Paris, elle suit encore, comme cela est courant au XIXe siècle, des cours d’instruction populaire. Elle y croise les grandes figures républicaines du temps, Eugène Pelletan, Jules Favre. C’est aussi dans une école professionnelle qu’elle fréquente le groupe du Droit des femmes, avec notamment André Léo et Maria Deraismes.

Si la jeune femme, qui entretient tôt une correspondance avec Victor Hugo, ne cesse de vouloir apprendre, elle est bien avant tout institutrice, dès 1851. Son engagement se caractérise par deux mots d’ordre, décalage et ouverture. Décalage parce que, refusant de prêter serment à l’empereur Napoléon III, elle doit dès le début ouvrir des écoles dites « libres ». Ouverture, parce qu’elle s’est toujours intéressée aux multiples manières d’être au monde et montrée soucieuse de leur valeur. L’un de ses premiers ouvrages, Lueurs dans l’ombre. Plus d’idiots, plus de fous, paru en 1861, s’intéresse précisément dans cet esprit à ceux que l’on dénomme alors les « idiots ». Ces deux traits sont indissociables d’une volonté politique d’émancipation populaire. Elle entend ainsi naturellement faire classe aux garçons comme aux filles afin de leur enseigner dès le plus jeune âge les principes de l’égalité.

Faire école, monter un établissement, enseigner aux enfants comme aux adultes sont des préoccupations qui reviennent avec une remarquable régularité dans son parcours. Pendant le siège de Paris, elle monte une cantine pour les enfants de son école. Sous la Commune, occupée à la défense de la ville ou à l’animation des clubs, elle signe encore, avec un groupe d’institutrices, une pétition en faveur d’écoles professionnelles et d’orphelinats laïques. L’expérience la plus remarquable qu’elle mène en la matière, quoique moins connue, a lieu à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Calédonie, après sa condamnation à la déportation. Sur l’île, elle enseigne vite auprès des enfants de déportés et dans les écoles de filles. Mais elle s’intéresse tôt à la culture des Kanaks. Elle apprend leur langue, publie un recueil de Légendes et chansons de gestes canaques… Et monte une école pour adultes, évidemment laïque, toujours mue par cette volonté de s’ouvrir à l’autre, d’enseigner à partir de l’autre. « Dans ces cerveaux, pareils à des feuillets blancs, se rappelle-t-elle, se graveraient bien des choses nouvelles : mieux peut-être que dans les nôtres, tout embrouillés de doctrines et tout maculés de ratures. » Si le propos n’échappe pas aux stéréotypes du temps sur la « jeunesse » supposée de la population kanak, rappelons que, chez Louise Michel, jeunesse est synonyme d’avenir. Elle avait d’ailleurs pensé trouver dans le bichlamar, mélange de différentes langues pratiqué sur place, quelque chose qui se rapprocherait d’une langue universelle.

À son retour à Paris, en 1880, devenue anarchiste, elle continue de s’intéresser aux questions pédagogiques. Pour les « compagnons » de la Belle Époque, l’éducation est en effet un levier important de transformation sociale – parmi d’autres, bien sûr. Son activité débordante lui laisse certes moins de temps pour exercer ses fonctions d’institutrice. Mais faut-il s’étonner qu’une fois exilée à Londres elle crée avec un groupe d’anarchistes une « école libertaire » ? Le projet s’alimente aux mille cheminements de la réflexion éducative du siècle, entre autres ceux du courant de l’Éducation nouvelle des années 1860. Mais ses enjeux trouvent dans ce cadre une clarté nouvelle. Selon le Manifeste de l’éducation intégrale, par exemple, qu’elle cosigne avec des personnalités telles qu’Élisée Reclus, Pierre Kropotkine ou Léon Tolstoï : « L’État, après l’Église […], s’est arrogé le droit d’étendre sa main despotique sur les cerveaux et les cœurs. » Leur enseignement entend précisément s’opposer à cet étouffoir. « Rationnel, intégral, mixte, libertaire », il a vocation à « devenir le levier qui soulèvera le monde et qui renversera à jamais l’erreur, le mensonge et l’injustice ».

Suivre l’école de Louise Michel offre ainsi un autre angle d’observation de son parcours. Aux confrontations violentes et à la critique des inégalités, cette attention ajoute une curiosité jamais démentie et la conviction qu’un monde plus juste, à long terme, est possible, pour celle qui n’a jamais cessé de vouloir maintenir ouvertes « les portes de l’avenir ». 

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