En décembre dernier, la Cour constitutionnelle a annulé le premier tour de l’élection présidentielle roumaine, provoquant un séisme politique dans le pays et de nombreuses réactions internationales. Pourquoi la plus haute instance judiciaire roumaine a-t-elle pris une décision aussi risquée d’un point de vue démocratique ?

Ayant fait irruption de manière fulgurante dans la campagne électorale grâce au réseau social TikTok, le candidat d’extrême droite prorusse Călin Georgescu était arrivé en tête du premier tour, le 24 novembre dernier, avec 23 % des voix. Mais plusieurs motifs ont conduit à l’annulation de ce premier tour par un vote à l’unanimité des juges de la Cour constitutionnelle : jeu démocratique électoral faussé par la manipulation de l’opinion, fausses déclarations sur le financement de sa campagne, ingérence d’une puissance étrangère…

Selon des documents des services de renseignements, le candidat d’extrême droite est soupçonné d’avoir bénéficié de l’appui de la Russie pour diffuser ses messages sur TikTok, même si le pays n’est pas explicitement nommé dans la déclaration de la Cour. L’annulation du scrutin présidentiel deux jours seulement avant le deuxième tour a suscité de vives critiques de la part des soutiens de Georgescu, qui dénoncent de graves atteintes à la démocratie. Toutefois, l’indignation a largement dépassé les cercles d’extrême droite. La candidate centriste et proeuropéenne Elena Lasconi, arrivée derrière Georgescu, a ainsi condamné la décision de la Cour, la considérant comme « illégale et immorale ». Et tandis que les sondages le plaçaient en tête du nouveau scrutin prévu en mai prochain, le candidat d’extrême droite a ensuite vu sa candidature écartée par la commission électorale s’appuyant sur le jugement rendu par la Cour constitutionnelle en décembre. Călin Georgescu a alors fait appel, mais celui-ci a été rejeté à l’unanimité par les neuf juges de la Cour.

« L’indignation a largement dépassé les cercles d’extrême droite »


De nombreuses voix, pas seulement d’extrême droite, ont déploré la fragilité des institutions politiques et judiciaires du pays. En octobre dernier, deux mois avant l’élection, la Cour constitutionnelle avait rejeté la candidature de Diana Iovanovici-Șoșoacă, eurodéputée prorusse et antisémite, dont certaines déclarations ont été jugées « antidémocratiques ». Depuis 2015, une loi roumaine interdit en effet l’apologie des crimes de guerre ou de génocide et la promotion de doctrines fascistes. Or Georgescu, mais aussi George Simion, l’un des candidats d’extrême droite en lice pour la nouvelle élection de mai, ont soutenu de manière plus ou moins directe le fascisme de l’entre-deux-guerres, sans que le Parquet national soit saisi. Comment, par ailleurs, la commission électorale a-t-elle pu laisser Călin Georgescu se présenter en décembre, alors qu’il n’avait déclaré aucune dépense de campagne  ? Face à une ingérence inédite dans l’élection présidentielle, la Cour constitutionnelle a, par ses différents jugements, choisi la moins mauvaise des solutions. 

Propos recueillis par EMMA FLACARD

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