Des juges au-dessus des politiques ?
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La critique du « gouvernement des juges » ou d’une « justice politique » n’a jamais atteint ce sommet. La condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics européens à des peines d’amende et d’emprisonnement, mais surtout à une peine d’inéligibilité d’application immédiate lui interdisant de poser sa candidature à l’élection présidentielle de 2027, a ravivé les fractures d’un débat dont l’intensité ne cesse de s’accroître.
Ce débat n’est pas celui de l’indépendance des magistrats. Si les magistrats du parquet réclament un processus de nomination en quasi-autogestion à l’instar de celui des juges du siège, dont la nomination dépend du Conseil supérieur de la magistrature (qui n’est plus présidé par le garde des Sceaux), tous les magistrats bénéficient de garanties statutaires les mettant à l’abri des pressions politiques.
Le problème réside dans la mentalité de certains magistrats, qui se voient comme les seuls remparts d’un État de droit sublimé renfermant les principes démocratiques dont la Justice serait l’ultime dépositaire, certains allant jusqu’à murmurer que, si un certain parti politique parvenait au pouvoir, « ils prendraient les mesures qui s’imposent ». Ces juges se voient comme un « contre-pouvoir » défendant les faibles et les vulnérables contre un État supposé oppressif et une classe politique privilégiée. La Justice ne serait plus une simple « autorité judiciaire » comme l’indique l’article 66 de la Constitution ; elle serait le complément obligé du pouvoir politique dès lors que, selon les termes de Laurent Fabius, ancien président du Conseil constitutionnel, « la démocratie ne saurait être réduite à la seule volonté majoritaire des électeurs et des élus… la compétence des tribunaux est complémentaire à ces processus démocratiques ».
La violation de la loi, si elle part d’un bon sentiment, perd ainsi son caractère d’infraction !
Cette conception d’un pouvoir judiciaire complémentaire, voire au-dessus du pouvoir politique, est illustrée par d’innombrables décisions. En 2018, le Conseil constitutionnel, au nom de la « fraternité », exclut toutes poursuites pénales pour l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’il n’y a pas de contreparties (notamment financières) : la violation de la loi, si elle part d’un bon sentiment, perd ainsi son caractère d’infraction ! En 2019 et 2020, des tribunaux justifient le décrochage des portraits du président de la République dans les mairies par un « état de nécessité » lié aux « enjeux de protection de l’environnement » (sic !). La Cour de cassation rejette cette approche, tout en réservant l’hypothèse d’un fait justificatif fondé sur la liberté d’expression. La porte vers la reconnaissance d’un droit à la désobéissance civile est entrouverte. En 2021, le Conseil d’État n’hésite pas à dicter le rythme des réformes en refusant d’appliquer celle de l’assurance chômage pour ne pas aggraver, en période de Covid, la situation des personnes sans emploi. Où est l’application de la loi ?
Parallèlement, il n’est pas de jour où l’on n’annonce la mise en examen ou la condamnation de politiques pour des délits financiers, les plus illustres étant Nicolas Sarkozy, dont on peine à comprendre quelles preuves accréditent l’existence du pacte de corruption dont il aurait fait partie ; François Fillon, candidat contrarié à l’élection présidentielle de 2017. Et désormais Marine Le Pen.
Dans ce contexte, les juges sont accusés de double standard : laxisme, d’une part, dans lequel un nombre croissant de citoyens ne se reconnaissent pas ; extrême sévérité, d’autre part, en vue de moraliser la vie politique. Pour éviter un conflit qui ne profiterait à personne, les politiques ne devraient pas maudire leurs juges, et les juges ne devraient pas s’identifier à des défenseurs du peuple, mais simplement statuer, au nom du peuple français, en conscience et en droit.
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