États-Unis
Le bras de fer de Trump avec la justiceTemps de lecture : 5 minutes
Trump avait déjà eu des dizaines de démêlés avec la justice depuis les années 1980, mais, à partir de sa défaite aux élections de novembre 2020, il a véritablement basculé dans un populisme anti-juges. Outre ses habituelles manœuvres dilatoires, il est passé aux attaques et insultes contre les procureurs qui osaient le poursuivre et contre les juges qui se prononçaient sur les diverses motions fantaisistes et manœuvres spécieuses de ses avocats. Il était poursuivi pour des faits graves : ses tentatives pour modifier les résultats de la présidentielle de 2020 et ses appels à l’insurrection contre le Capitole, le 6 janvier 2021. Il n’a finalement été condamné que dans une affaire mineure, à New York.
Depuis sa réélection, Trump a déjà signé plus de cent décrets, plus ou moins illégaux ou inconstitutionnels, et il s’en prend de façon de plus en plus violente à ceux qui bloquent ses initiatives, que celles-ci visent à limoger des centaines de fonctionnaires – en violation de la loi –, à geler des financements approuvés par le Congrès – en violation de la séparation des pouvoirs – ou à mettre fin au droit du sol – pas moins de cinq juges différents se sont déjà levés contre cette remise en cause. Certains magistrats ne se laissent pas intimider par les menaces et veillent à s’assurer que l’administration et les ministres se plient bien à leurs décisions : ainsi concernant l’accès aux données privées de la Social Security, un juge a exigé que soient effacées les informations confisquées par Musk et ses équipes. Ou dans l’affaire des rafles-expulsions de migrants vénézuéliens, qui non seulement vont à l’encontre de leur droit à être entendus par un juge (alors même qu’aucune preuve n’a été apportée de leur appartenance au gang de terroristes Tren de Aragua), mais transgressent aussi la loi sur les ennemis étrangers (invoquée par Trump pour justifier l’expulsion), laquelle ne devrait s’appliquer qu’en cas de conflit armé. Dans cette affaire, le juge fédéral James Boasberg a certes ordonné en vain que l’avion fasse demi-tour, mais il n’a pas lâché prise.
Il s'agit de délégitimer le pouvoir judiciaire, qu’ils qualifient d’« antidémocratique » car il s’opposerait au pouvoir « légitime » du président
Ces attaques répétées par Trump, ses affidés, les troupes MAGA et un Musk armé de son mégaphone X ont un objectif central : délégitimer le pouvoir judiciaire, qu’ils qualifient d’« antidémocratique » car il s’opposerait au pouvoir « légitime » du président, découlant du mandat reçu du peuple américain en novembre 2024, dont le socle électoral est prétendument gigantesque – en fait bien moins de 50 % des citoyens américains ont voté pour lui. En raison de la polarisation et de la désinformation régnant dans leurs bulles informationnelles, les électeurs de droite sont convaincus que les juges qui « résistent » sont des activistes de gauche, même lorsqu’ils ont été nommés par Reagan ou par George W. Bush, voire par Trump lui-même, à l’instar du juge fédéral Carl Nichols. Il est vrai que les diverses ordonnances contraires au gouvernement en place émanent plutôt de juges choisis par des présidents démocrates (45) que de magistrats nommés par des présidents républicains (13). C’est le résultat de la pratique du forum shopping, ou même du judge shopping, qui permet aux requérants d’intenter l’action devant un tribunal ou un juge « favorable » qui partage leur approche du droit.
Les partisans de Trump suivent donc le président, son vice-président J.D. Vance et leurs alliés lorsqu’ils accusent les juges de fomenter des coups d’État et appellent à les mettre en accusation et à les destituer. En raison de la gravité et de la constance des dérapages de la nouvelle administration, le président conservateur de la Cour suprême a jugé nécessaire de rappeler à Trump qu’en cas de désaccord avec une décision de justice, c’est la procédure de l’appel qui s’impose – l’impeachment (destitution) des juges et autres hauts fonctionnaires fédéraux étant réservé par la Constitution aux affaires de « trahison, corruption et autres crimes et délits graves ».
Le pouvoir judiciaire ne dispose ni de l’armée ni du porte-monnaie
Le vice-président et plusieurs élus incitent néanmoins l’administration à ne pas se conformer aux décisions de justice, Vance citant, sans doute de façon apocryphe, le président Andrew Jackson, qui aurait dit en 1832 : « La Cour a rendu sa décision. Qu’elle se débrouille pour la faire exécuter. » Ce type de menace est une atteinte à la séparation des pouvoirs et à la primauté du droit (rule of law), mais elle pose un vrai problème. Le pouvoir judiciaire, ainsi que l’avait souligné Hamilton en 1788 dans Le Fédéraliste no 78, ne dispose ni de l’armée ni du porte-monnaie. Il n’a d’autres armes que de condamner les récalcitrants à l’outrage à la Cour et de recourir aux services des U.S. Marshals, chargés de faire respecter les décisions de justice ; or ceux-ci dépendent du ministère de la Justice, et donc de la présidence.
Les juges seuls, en première instance, en appel et à la Cour suprême, ne pourront donc freiner le président. Ce serait au Congrès d’agir, mais les républicains, majoritaires, sont jusqu’ici tétanisés par la peur de représailles en cas de manque de loyauté envers leur lider maximo. C’est donc à l’opinion publique de se mobiliser pour peser sur les membres du Congrès et envoyer un message fort à l’exécutif afin de lui signifier que se plier aux décisions de justice n’est pas une option. C’est le sens même du système de « freins et contre-pouvoirs » (checks and balances) voulu et mis en place en 1787 par les Pères fondateurs.
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